Sandra : Donc les lieux de concertation. J’ai feuilleté un peu le schéma de promotion de la démocratie en santé 2013-2017 qui est paru. J’ai vu des mots quand même, comme « conseils locaux de santé mentale, médiateur socioculturel, service régional d’information en santé, conférence régionale de la santé de l’autonomie » tout ça, des grands mots. Et, moi quand je vois tous ces grands mots j’ai l’impression que ça alourdit le fonctionnement. Ou alors c’était peut-être déjà plus compliqué avant. Mais est-ce que ce n’est pas rajouter beaucoup de mots comme ça, de réunions et ça perd un peu les gens, dans quoi vais-je participer, c’est un peu lourd non ?
Marc Schoene : Ecoutez, évidemment c’est lourd. Il y a beaucoup de réunions. Après la question elle est, à quoi ça sert ? Si c’est lourd et que ça ne sert à rien, c’est évidemment et lourd et regrettable. Si c’est lourd mais que ça fait avancer des choses, évidemment on peut dire il le faut. Donc la concertation, c’est forcément prendre du temps. Quand Yann parle de son aventure, de son histoire, il doit discuter avec les médecins, ils doivent se mettre d’accord, etc. Ça prend du temps. Ca va moins vite que simplement un médecin qui fait une ordonnance, qui n’écoute pratiquement pas le patient et on passe à autre chose, en voyant 40 personnes par jour. Donc le temps est un élément de la démocratie. C’est fondamental la question du temps. Après, évidemment, à quoi ça sert ces lieux-là ? Si ça sert seulement, si la concertation c’est seulement l’information, c’est seulement donner son avis et que rien ne se passe derrière, ça a ses limites. Donc quand on parle de démocratie et quand on parle de concertation à mon avis c’est extrêmement important d’en demander plus, de dire à quoi ça sert. Et ça sert de mon point de vue si la concertation n’est pas simplement de la consultation mais véritablement comme le dictionnaire le dit, construire ensemble. À ce moment-là, c’est depuis le début jusqu’à la fin qu’on est ensemble pour construire quelque chose. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Souvent c’est des consultations, c’est-à-dire on écoute les gens et puis c’est quelqu’un d’autre qui décide. Je participe, tu participes, ils décident. Donc attention à concevoir la concertation, encore une fois de mon point de vue, d’une part que tous les gens concernés soient dans le coup, très important. Et qu’ensuite on les associe depuis l’élaboration d’un projet jusqu’à sa mise en oeuvre. C’est vraiment ça la question de la concertation aujourd’hui. Mais si je peux prolonger un tout petit peu, je crois aussi que c’est important de se dire pourquoi aujourd’hui on parle de concertation. Il y a vraiment plusieurs raisons de mon point de vue. Il y en a une que Yann a très bien dit, c’est que les patients sont souvent plus compétents et plus exigeants qu’ils ne l’étaient autrefois. Maintenant il y a Doctissimo, il y a votre émission, il y a les journaux. Heureusement l’éducation des gens, l’expérience des gens qui fait qu’ils ne se satisfont pas d’une mauvaise réponse parce qu’ils ont besoin de donner leur avis, d’exiger. Yann a dit tout à l’heure : « Renseigne-toi avant de voir le médecin ». C’était impensable il y a quelques générations. Aujourd’hui, on se renseigne pour être expert en face d’un expert. Expert de sa vie en face d’un expert de la maladie. Ça, c’est extraordinaire. Mais ça veut dire que les pratiques doivent changer. Ça, c’est l’exigence sociale, c’est l’exigence des associations, c’est l’exigence des malades. Et puis il y a aussi en quelque sorte l’exigence des pouvoirs publics, du gouvernement, etc, de dire aujourd’hui on n’améliorera pas la santé si les gens ne participent pas aussi à leur santé. Si les gens ne, par exemple, on a une pharmacie chez soi, on entasse des médicaments pour rien ou bien on est mal informé de sa maladie. Bon, il y a plein de choses comme ça. Donc l’intérêt des pouvoirs publics pour des raisons de fric mais aussi pour des raisons de démocratie plaident pour aussi la participation, l’implication des gens. J’insiste lourdement là-dessus, attention la concertation ne doit pas être une simple consultation, une simple information parce que là, on ne serait pas dans ce qui à mon avis se joue aujourd’hui, c’est-à-dire une vraie implication des citoyens à leur santé et aux questions sur la santé.
Sandra : Yann, la dernière fois tu disais qu’à Saint-Denis, on demandait à la population de venir dans des réunions pour parler de la santé. Et toi Zina, qui habite à Chamonix, est-ce qu’il y a des réunions sur la santé, est-ce qu’on intéresse la population sur ce sujet ?
Zina : Je n’ai rien entendu…
Sandra : À Chamonix, est-ce que les décideurs de la santé vont vers la population pour parler santé. Est-ce qu’il y a une concertation de la population en matière de santé ?
Zina : Déjà à Chamonix il y a un seul hôpital, il n’y a pas de service infectieux, il faut aller dans une autre ville un peu plus loin à Sallanches qui est à une vingtaine de kilomètres. Ensuite, la seule chose dont j’ai entendu parler à Chamonix qu’ils font c’est comme partout, c’est au mois de décembre où ils informent dans le collège…
Sandra : Ah oui, pour le VIH, à cause de la journée mondiale de lutte contre le Sida…
Zina : Ils distribuent des préservatifs, des rubans rouges et voilà. C’est informer par des infirmières…
Yann : Sais-tu Zina s’il y a des associations sur Chamonix qui représentent les personnes concernées ?
Zina : Il n’y en a pas. Je me suis renseignée, il n’y en a pas. Les associations qu’il y a ici c’est…
Yann : Le seul représentant associatif c’est toi sur Chamonix vu que tu représentes le Comité là-bas.
Zina : Voilà. Moi j’ai un problème aussi avec ça c’est comme Chamonix est une petite ville, je ne veux pas que ça se sache, que je sois séropositive.
Sandra : Oui, ce n’est pas évident, c’est sûr.
Zina : Donc déjà Sandra m’avait proposé de faire quelques trucs mais à ce niveau-là… enfin, pour ma part, je m’en fiche qu’on le sache mais j’attends que ma fille qui est au collège soit OK, soit prête. Pour l’instant, je reste un peu dans l’anonymat par rapport à mon enfant.
Yann : On comprend tout à fait.
Sandra : Marc Schoene, comment intéresser la population parce que ça demande du temps quand même. Ça demande de se déplacer. Là, Zina dit que l’hôpital le plus proche c’est à 20 km de chez elle. À Paris on a peut-être moins cette problématique parce que tout est un peu proche mais quand même ça demande du temps. Comment intéresser les gens ?
Marc Schoene : C’est une très bonne question évidemment. Je vous ai parlé tout à l’heure des Agences régionales de santé dans 22 régions. C’est organisé au niveau de la région. Après vous avez les conférences de territoire au niveau des territoires c’est-à-dire c’est un peu plus proche des gens. Mais le problème que vous posez c’est comment c’est organisé et Yann l’a évoqué, comment ça se passe au niveau du quartier ? Ou d’une ville ? Là, on est dans une situation très particulière en France, c’est que les villes n’ont pas ce qu’on appelle de compétence en santé ou très peu. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas obligés les maires d’intervenir en santé. Ils sont obligés d’intervenir pour construire les écoles, d’intervenir pour la circulation, d’intervenir pour plein de trucs mais pas sur la santé. Ce qui fait qu’en France vous avez 36 000 communes. Vous avez des communes que je connais comme Saint-Denis qui interviennent énormément en santé. En santé publique, avec des centres de santé, des PMI, des actions de santé, on évoquait le Méga couscous, etc. Il y a plein d’actions de santé qui sont faites et vous avez d’autres communes qui n’interviennent pas considérant qu’elles n’ont pas de responsabilité forcément à intervenir. Ça, c’est une vraie inégalité aujourd’hui sur le territoire. Ça, il faut le savoir. Et donc dans certains endroits, ça dépend des associations qui existent, dans d’autres endroits il y a un conseil local de santé mentale, enfin, c’est extrêmement divers, très hétérogène, très inégal selon les régions. Donc aujourd’hui les pouvoirs publics sont en train de se poser la question justement est-ce qu’il ne faudrait pas, comme on a organisé la santé au niveau régional, on a commencé à organiser au niveau départemental, est-ce qu’il ne faudrait pas trouver un truc qui serait plus proche des citoyens ?
Yann : Sur Saint-Denis par exemple, moi j’ai reçu je crois il y a 3 ou 4 mois, un flyer dans la boite aux lettres expliquant qu’il y avait une réunion publique au centre de santé sur tous les problèmes de surpoids aussi bien le surpoids des enfants que des adultes. C’est une manière de pouvoir y aller en famille, de se renseigner. Je trouve que c’est vraiment directement dans la boite aux lettres, c’est pas mal.
Marc Schoene : Il y a aussi, il faut dire les choses telles qu’elles sont, c’est aussi la démocratie de s’exprimer. On a diminué pour l’année 2014 de 13 ou 15% le budget national de la prévention qui est déjà une partie infime de la santé. Donc si on diminue ce budget-là, ça veut dire concrètement moins de sous pour les associations et pour le travail de fourmi qu’il faut faire auprès des habitants. La prévention, l’éducation, le travail de réunion, etc, c’est des sous. C’est cher parce que, quand on évoque le Méga couscous, pour y avoir été, je peux vous dire que c’est du boulot. Évidemment pour l’association mais ça a été du boulot pour Samira Guédichi, un nombre de journées pas possible et il faut bien que quelqu’un paye. Donc cette question de la démocratie pose la question des moyens de la démocratie, du temps qu’on y consacre et donc des moyens pour aller rencontrer les gens, discuter avec les gens, frapper aux portes, faire une réunion. C’est concrètement ça la démocratie.
Yann : Et ça prend du temps aussi de faire changer les mentalités pour faire comprendre que ce n’est pas une réunion uniquement festive où les gens pensent souvent, bah oui, ils veulent un petit budget pour faire la fête. Non, non, c’est un moment de liberté de parole. Nous, on a des cas extraordinaires de mamans d’origine maghrébine qui venaient avec leurs grands enfants et tout ça, qui pouvaient rencontrer d’autres familles du quartier dont ils n’avaient jamais parlé de santé et tout ça, ça libère la parole, c’est merveilleux.
Marc Schoene : Pour continuer, parce que c’est vraiment le bon exemple, je me souviens du travail que Samira Guédichi et qu’elle continue à faire sur l’obésité, c’est un travail de 10 ans. C’est vraiment un travail sur la durée. C’est-à-dire que, si un enfant obèse va chez le médecin, en général le médecin n’a pas le temps et deuxièmement l’enfant ne vient pas forcément pour ce problème d’obésité, il vient parce qu’il est enrhumé, parce qu’il a un truc. Donc la question de l’obésité nécessite du temps de consultation, éventuellement de l’envoyer à un club sportif, de prescrire une activité sportive particulière mais ça c’est du temps, de l’argent. Et en même temps si cet enfant demain va mieux, c’est autant d’économiser pour des maladies diabète, infarctus qu’il pourra avoir 20 ans plus tard. Donc aujourd’hui la démocratie, la concertation, le changement des relations des professionnels avec les associations, avec les élus etc, c’est ça l’idée de démocratie. Ca pose vraiment la question du comment on travaille différemment, comment on change les pratiques, comment ça s’organise autrement ? C’est vraiment ça qui est posé.
Sandra : Alors Yann, toi tu es très intéressé par la santé, tu reçois quelque chose dans ta boite aux lettres sur l’obésité, tu te dis pourquoi pas y aller en famille. Toi, Zina, si tu recevais ce genre d’invitation, que ce soit pour parler de l’obésité ou un autre sujet, est-ce que toi tu serais intéressée pour participer à ce type de rendez-vous ?
Zina : Oui, tout à fait. Je trouve que c’est bien, je trouve que c’est intéressant.
Sandra : À Chamonix, il n’y a vraiment rien sur la santé ? Il n’y a rien qui s’est fait pour l’instant depuis que tu es là ?
Zina : Les seules associations qu’il y a à Chamonix c’est l’association pour les montagnards… c’est des associations sportives ici. Et pourtant, quand je suis allée chez ma dentiste, elle m’a dit qu’elle avait eu plusieurs patients qui étaient atteints du VIH. Quand je vais chez mon généraliste, il me dit qu’il suit des patients, pareils, concernés par le VIH. Pourtant on est plusieurs et je n’en connais aucun.
Sandra : Bah dis donc. Au moins, vous faites du sport là-bas.
Zina : C’est une ville sportive.
Sandra : Sans le savoir, ils font des actions de santé en fait.
Zina : Oui !
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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