Sandra : Peux-tu nous rappeler où tu travailles, Arnaud ?
Arnaud Aurrens : Alors, moi je suis infirmier, je travaille en centre de dépistage, donc le centre Valois qui est un centre Croix-Rouge, associatif, qui se trouve dans le 1er arrondissement de Paris, 43 rue de Valois, donc pour ceux qui veulent venir faire un test, c’est là-bas qu’il faut aller.
Sandra : D’accord, très bien ! Et donc voilà, tu avais envie de venir aujourd’hui à l’émission pour nous parler de ton rôle qui est très capital lors d’une annonce, c’est ça.
Arnaud Aurrens : Voilà. Moi je voulais venir parler de la prise en charge spécifique qu’on a au centre, dans un contexte un petit peu particulier en ce moment, puisqu’il y a une réforme qui est en train de se faire, qui va rentrer au 1er janvier 2016 sur le terrain, qui est la réforme des centres de dépistage. Face à l’épidémie de VIH, pour faire un petit peu d’historique, en 83, il y a eu plusieurs dispositifs qui ont été mis en place, notamment les centres de dépistage anonymes et gratuits, les fameux CDAG qui ont été créés en 1988, et puis un peu plus tard on a eu les CIDIST, les Centre d’Information et de Dépistage des Infections Sexuellement Transmissibles, en 2004, et ça a constitué le dispositif principal de dépistage pour les patients. Ils sont fondés sur des piliers fondamentaux qui sont l’anonymat, la gratuité, et le dépistage volontaire, ça, c’est des piliers vraiment importants. Et puis en ce moment, grosse réforme de santé suite au plan national VIH/IST, 2010-2014, on a eu les autotests, on a eu l’étude IPERGAY, il y a plein de choses qui se font en ce moment, et notamment cette fusion des CDAG-CIDIST, dans des nouveaux centres qui s’appellent des centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic et qui ont vocation à devenir de véritables centres de santé sexuelle, dans lesquelles on ne va pas avoir que de la prévention. On va vraiment avoir de l’accompagnement, du consuling, de l’éducation thérapeutique, de la prise en charge orthogénique avec les avortements médicamenteux, tout un tas de choses.
Yann : Et il faut rappeler que c’est entièrement gratuit et que ça permet aussi en plus du VIH de pouvoir se faire contrôler au niveau des MST.
Arnaud Aurrens : Tout à fait. Au niveau des MST, enfin, des IST, maintenant c’est IST mais c’est exactement la même chose, c’est une histoire de sémantique. Et puis aussi de la vaccination, parce que ça fait aussi partie de la prévention primaire que d’être à jour sa vaccination.
Yann : Et vraiment tout le monde peut être reçu rue Valois ?
Arnaud Aurrens : Absolument tout le monde, alors je parle de Valois mais il y a aussi plein d’autres centres, il y a à peu près une quinzaine de centres de dépistage sur Paris. Donc il ne faut surtout pas hésiter à y aller, dès qu’on en ressent le besoin, ou pour répondre à des questions. Et puis en fait, dans cette nouvelle réforme, nous on a un éventail de missions qui est très élargi, et on propose aux patients qui viennent consulter en centre de dépistage, et ça c’est une spécificité, c’est un entretien infirmier, qui n’existe pas ailleurs, et qu’on a appelé Entretien Préventif d’Information et d’Orientation, c’est un EPIO en fait. Pour faire simple, quand vous vous faites dépister dans un centre de dépistage, vous y allez, vous rencontrez le médecin qui fait une prescription et vous rencontrez un infirmier ou une infirmière qui va vous faire les examens tout de suite après. Il est rare, quand même, en centre de dépistage, qu’on fasse vraiment un accompagnement au niveau de la prévention, au niveau de l’évaluation des prises de risques, au niveau de la sexualité, de l’orientation sexuelle, etc. Et donc cet entretien infirmier, il a vocation à pallier un petit peu aux lacunes de la prise en charge en centre de dépistage. Donc en gros, on propose un entretien qui varie entre 5 minutes et 25-30 minutes sur trois points. On va d’abord parler de prévention, parce que c’est l’objectif premier, donc on va évaluer les prises de risques et essayer d’autonomiser le patient face à ses comportements. On va délivrer une information, une écoute active, écouter les problèmes spécifiques du patient et puis on va pouvoir l’orienter, si nécessaire, vers, notamment, des sexologues, mais ça peut-être des psychologues, des psychiatres, parce qu’évidemment quand on commence à discuter un petit peu avec les patients, on se rend compte qu’il y a d’autres problématiques sous-jacentes qui ressurgissent au travers du dépistage, et donc ça permet d’orienter un peu tout ça. Donc voilà l’entretien qu’on propose au centre. On a fait une petite enquête au mois de juin pour essayer d’évaluer la qualité de notre travail, et en fait, il est ressorti que plus de la moitié des personnes qui font un entretien de prévention apprennent des éléments de prévention nouveaux. Donc il y a quand même un gros intérêt pour le patient de bénéficier de cette nouvelle prise en charge, il y a deux tiers des patients qui s’estiment beaucoup plus autonomes pour réduire leurs risques après, ça, c’est vraiment des points essentiels, et puis on a à peu près un quart des patients qui jugent cet entretien indispensable, et plus de 60% qui le jugent utile. Donc on va continuer à le faire, évidemment, on en train de le développer. On a essayé de l’améliorer, dans un souci d’efficience, de voir quels sont les sujets que les patients auraient aimé aborder dans cet entretien, et il y a plusieurs sujets qui ressortent, en premier c’est la contraception. Les personnes qui viennent se faire dépister ont besoin de parler de contraception. Le deuxième sujet, c’est les troubles sexuels, et ça c’est assez étonnant parce qu’on le voit très peu dans les enquêtes, mais finalement pas tant que ça. Je crois que vous avez reçu il y a quinze jours Patrick Papazian, médecin sexologue que je connais bien, qui vous a parlé de santé sexuelle des patients VIH. La santé sexuelle on en parle aussi dans cet entretien parce qu’il y a des problématiques liées à la sexualité, qui sont liées à des troubles de la sexualité, à l’orientation sexuelle, à des violences sexuelles, enfin, à tout un tas de choses, d’identité de genre, etc. qui peuvent ressurgir dans cet entretien, et donc ça permet de commencer une prise en charge, ou de pouvoir orienter les patients au besoin. Donc voilà un petit peu, en somme, cette nouvelle prise en charge qui s’inscrit dans cette nouvelle réforme que je jugerais utile de pouvoir étendre à grande échelle.
Sandra : Avez-vous été confronté à beaucoup d’annonces de diagnostics de séropositivité ?
Arnaud Aurrens : Dans le centre dans lequel je travaille, on reçoit à peu près 6000 patients par an, on fait une annonce, à peu près, tous les 15 jours.
Sandra : Ah, quand même.
Arnaud Aurrens : Il faut savoir qu’en France il y a quand même 6000 nouveaux cas VIH chaque année, on fait à peu près 16 annonces de séropositivité en France chaque jour. Moi je le vois très bien dans les entretiens surtout auprès des jeunes qui pensent que ça n’existe plus le VIH, que c’est une vieille maladie, que ça ne les concerne pas forcément, hein. Moi j’ai des gens qui m’ont dit “Je viens faire un test pour voir, mais de toute façon je n’ai aucun risque parce que les filles avec qui j’ai eu des rapports sexuels s’habillent en Chanel ou en Prada, et elles traînent dans le seizième arrondissement”. Donc c’est pour vous dire les clichés encore, qu’il y a. On en parlait encore tout à l’heure avec Nadège, il y a encore beaucoup de clichés, il y a encore des amalgames, des confusions, et beaucoup de méconnaissance sur le VIH, et nous on essaie à travers cet entretien de corriger un petit peu tout ça, de “détabouïser” la sexualité, la santé sexuelle, voilà, c’est ce qu’on essaie de faire chaque jour, et on voit que c’est quand même bénéfique pour le patient, donc on s’en réjouit.
Sandra : Quelle est la réaction des personnes quand elles apprennent leur séropositivité, est-ce qu’elles se disent “Oui, j’accepte”, ou “Non, ce n’est pas possible, je refais un test” ?
Arnaud Aurrens : C’est difficile de répondre à cette question. Il y a autant de réactions que d’annonces, en fait, parce que ça dépend beaucoup de la personnalité, ça dépend beaucoup du contexte dans lequel le patient est venu faire un test, moi je reçois des patients pour qui ça va être une confirmation pour eux, ça va être un diagnostic posé, sans étonnement, il y en a pour qui c’est vraiment un drame, quelque chose qui leur tombe dessus, ils ne s’y attendaient pas du tout, donc voilà. On a vraiment des réactions très diverses, c’est à chaque fois très difficile pour le médecin et puis pour nous de récupérer, enfin de prendre en charge des patients qui ont ce type de diagnostic. Cela reste encore aujourd’hui, quand on annonce le VIH, synonyme de mort, synonyme de SIDA, il y a encore des connotations très très dures autour du VIH, et on essaie de travailler un petit peu sur ces préjugés qui sont faux, évidemment, maintenant le VIH est une maladie chronique hein, au même titre que l’hypertension, que le diabète. Les traitements ont été énormément simplifiés, les effets secondaires réduits. Mais il ne faut pas que ce genre de discours serve d’argument aussi, parce que je l’entends dans les centres, en disant “maintenant, c’est simple, on prend une pilule et puis c’est tout, donc je ne vois pas pourquoi je me protègerai”. C’est toujours un petit peu compliqué, nous on a toujours cette ambivalence dans les discours. Il y a des gens qui prennent énormément de risques, on leur dit “Attention, tu risques d’avoir quelque chose, une maladie chronique qui va être vachement emmerdante, très contraignante, etc.”, on a des fois ce discours-là un peu plus dur, qui n’est pas forcément la réalité, et puis d’un autre où il y a des gens qui sont bourrés de préjugés, on va leur dire “écoutez, ce n’est pas totalement ça, c’est quand même une vie beaucoup plus simple qu’avant, etc.”. Donc c’est toujours un peu compliqué de s’adapter aux patients qui viennent, en fonction de leurs bagages, de leurs connaissances, de leurs préjugés, de leur éducation, il y a plein de paramètres qui jouent.
Yann : C’est vrai que l’avancée de la science a fait que beaucoup de gens pensent que cette maladie chronique fait partie de plein d’autres, et qu’en prenant des médicaments. Nous c’est ce qu’on a un peu comme retour auprès des jeunes, quand on poursuit le travail qu’avait fait Madeleine Amarouche, avec le projet Madeleine, et effectivement, la grande partie difficile, même s’il y a beaucoup moins d’effets indésirables, la plus grande partie, c’est de vivre avec et de l’accepter, c’est ça le grand chemin à faire, quoi.
Sandra : Et j’aurai une dernière question pour toi avant de passer à la rubrique culturelle Arnaud, parfois à l’association, quand on discute, les personnes disent que par exemple, en Afrique, les gens n’acceptent pas, mais qu’ici, les blancs, bon, je caricature, mais c’est le genre de discussion, “oui, eux ils acceptent, il n’y a pas de problème”. Est-ce que tu confirmes ce propos, ou est-ce que tu n’es pas d’accord ?
Arnaud Aurrens : Je ne suis pas expert dans le domaine, mais il y a des spécificités culturelles qui font que c’est parfois plus facile d’être séropositif dans certains lieux, dans certaines populations, mais après voilà, encore une fois, le vécu de la maladie, c’est un parcours individuel, c’est un ressenti, c’est inscrit dans une histoire de vie, dans un parcours. On le sait qu’il y a des milieux dans lesquels c’est beaucoup plus accepté, ils sont beaucoup plus tolérants, il y en a d’autres, c’est beaucoup plus compliqué de vivre avec le VIH, ça c’est évident, après je ne suis pas expert dans le domaine. Je sais qu’à Saint-Louis, il y a un ethnopsychiatre qui travaille beaucoup là-dessus, vous pourriez l’inviter à l’occasion !
Sandra : D’accord, merci pour l’info !
Transcription : Alexandre Bordes
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