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31.10.2014

Discriminé et harcelé au travail parce que je suis séropositif

Samira Hadjaj, avocate libérale pour le compte de Sida Info Service, au studio radio Fréquence Paris Plurielle

Laura : Bonjour, j’ai 51 ans. Jusqu’à présent je travaillais en cuisine. J’étais responsable en cuisine dans une structure de l’éducation nationale.

Sandra : C’est un métier que tu aimes bien la cuisine ?

Laura : Ah oui j’adore ça. J’ai choisi depuis toute petite j’ai toujours voulu faire ça. Donc c’est vraiment une passion, tout à fait.

Sandra : Est-ce que tu es digne de faire Top chef ? (rires).

Laura : Peut-être. Mais bon pour l’instant je n’y ai pas encore pensé.

Sandra : Un jour tente, on te soutiendra. Aujourd’hui, si tu participes à l’émission, c’est pour parler d’un sujet assez difficile parce que c’est quelque chose que tu as vécu et tu es encore un peu ému, c’est pour parler de la problématique VIH et travail parce que toi malheureusement dans ton travail, un métier en plus qui te passionne. Tu as subi des choses insupportables. Qu’est-ce qui s’est passé ? Quand est-ce que tu t’es rendu compte que tu subissais du harcèlement à ton travail ?

Laura : Je ne me suis pas rendu compte en fait que je subissais du harcèlement. Au départ c’était des réactions très violentes, agressives vis-à-vis de moi, vis-à-vis des gens que je dirigeais même. Des gens qui, a priori, charmants, d’un seul coup devenaient insupportables, devenaient méfiants par rapport à moi, s’éloignaient de moi, ne supportaient plus que je les approche, vraiment avec une grosse agressivité au départ. Et je n’arrivais pas à comprendre en fait. Et puis quelque temps après, je me suis vue convoquée par mon supérieur hiérarchique qui m’a dit : “vous vous ne comportez plus en professionnel. On m’a dit que, vous chantez, vous sifflez toute la journée. C’est insupportable pour toute l’équipe. Personne ne vous supporte et il faut que ça cesse”. J’étais complètement éberluée. Je savais que c’était un mensonge bien évidemment. Je lui dis : “Si c’est ça, mettez-moi un blâme, un avertissement, mettez-le par écrit”. “Ah non non, pas question”. Donc tu vois au départ c’est insidieux, on ne se rend pas compte. Puis petit à petit…

Sandra : Tu ne comprenais pas. Tu n’as jamais fait le lien.

Laura : Je ne comprenais pas. Non. C’était des interventions répétées sur le site. Plusieurs personnes venaient sur le site, des coordinateurs, et là, ils étaient à trois ou quatre me disant : “là aujourd’hui vous êtes sale, vous n’êtes pas changé”. Je mettais tâché le tablier, donc j’étais quelqu’un de sale. D’un seul coup quoi. Je me suis mis à délirer, à être quelqu’un de sale, d’incompétent puisque j’avais tous les défauts. Alors que sans me vanter, j’étais un agent modèle, de très bonnes notes, des bonnes appréciations et je ne comprenais absolument pas. Vraiment je ne savais pas ce que c’était le harcèlement en fait. Je n’ai pas compris. Au début je me suis remise en question en faite. Je me suis dit oui, effectivement, tu es tombée malade, tu es affaiblie donc c’est fort possible que tu ne fasses plus attention à certaines choses et que quelque part, tu es en train de déconner. Quelque part il faut te ressaisir. Je me suis remise en question.

Sandra : Parce qu’on est d’accord que ces remarques tu les as eus une fois que tu as appris ta séropositivité.

Laura : Ah oui ! Bien sûr, pas avant ! Jamais avant !

Sandra : Ta séropositivité, tu l’as appris quand ?

Laura : Je l’ai appris en été 2012. J’ai fait une primo-infection, je me suis retrouvée à l’hôpital et dans un état grave. Sans qu’on sache exactement ce que j’avais puisque mon médecin ne pensait pas que je pouvais être susceptible d’avoir contracté le VIH. Donc lui, il ne s’inquiétait pas outre mesure jusqu’au moment où j’ai atterri en urgence à l’hôpital.

Sandra : Quand on t’a annoncé cette nouvelle, tu connaissais ?

Laura : Je connaissais, je connaissais mais c’était toujours pour les autres. Ce n’était pas pour moi et puis moi je ne pouvais pas contracter ça, c’était… même si bon, c’est vrai que j’étais célibataire depuis plus de 20 ans, j’avais toujours fait attention, j’avais, plus ou moins, fait toujours attention. Après, comme je dis, il y avait des moments où quelque part, en voulant faire confiance, on se plante et puis il suffit d’une fois. Au départ, je n’ai pas cru, je me suis dit ce n’est pas possible. Et puis j’ai réalisé quand j’ai commencé à… ils m’ont dit : “on ne peut plus vos suivre sur l’hôpital, il faut que vous alliez voir un hôpital où on s’occupe des maladies infectieuses et tropicales” puisque c’est dans ce service-là qu’on soigne aussi les gens atteints du VIH. Et là, c’est vrai que bon, j’ai réalisé quoi. J’ai réalisé avec un rendez-vous, avec un virologue, il fallait…

Sandra : Te prendre en main…

Laura : Me prendre en main, me soigner et puis voilà quoi.

Sandra : Et ça a été ? Tu as tout de suite pris un traitement puisque tu as fait une primo-infection ?

Laura : Pas de suite. En fait, si. Je suis sortie de l’hôpital, 15 jours après j’ai commencé mon premier traitement. Ca n’a pas toujours été facile quoi.

Sandra : Pas facile, à cause des effets ou parce que tu as…

Laura : À cause des effets, pour trouver le traitement, etc. les effets étaient très forts. Je supportais mal. Voilà quoi. Mais bon.

Sandra : Mais maintenant ?

Laura : Maintenant ça va très bien. Je peux dire que sans me vanter, je me sens bien et je vis pleinement.

Sandra : Bah voilà. Pour revenir à ton travail, comme tu te sentais affaiblie à cause de ta séropositivité, tu t’es dit : “bah oui, ils ont peut-être raison”.

Laura : Oui, ils ont peut-être raison, effectivement, je dois déconner, je suis moins attentive et j’ai pris le parti, ça a été tellement… parce que ça été toutes les semaines, j’avais quelqu’un qui venait me faire des remarques. À force on finit par y croire et puis je me suis remise en question puis j’ai fini par quitter le service. Par dire : écoutez, puisque je ne suis plus capable du tout de tenir une équipe de 12 personnes, je ne suis plus capable”.

Sandra : Tu as démissionné alors ?

Laura : Je n’ai pas démissionné, j’ai demandé à changer de service. Chose qui n’a pas été facile puisque je me suis quand même sentie très poussée quoi. Oui, je me suis senti tellement dévalorisé que je ne m’en sentais plus capable du tout de diriger une équipe. Je ne valais plus rien. Et qu’en plus, on a fait allusion à mon âge, qu’à 50 ans… c’était ignoble. On m’a dit : voilà, votre âge maintenant, vous n’êtes plus capable”.

Sandra : Toute cette situation-là, est-ce que tu gardais ça pour toi ou est-ce que tu en parlais autour de toi ?

Laura : Non. J’ai tout gardé pour moi. Il y avait un sentiment de culpabilité aussi de ma part. Déjà je culpabilisais d’être malade. Je ne parlais de rien. Je ne parlais de rien à ma famille. Ma famille a su que j’étais hospitalisée, on a mis ça sur le compte d’un épisode hépatique et puis c’est tout et basta. Je ne dis pas que je prends des médicaments…

Sandra : Personne n’est au courant.

Laura : Personne n’est au courant donc oui, effectivement, ça a été difficile.

Sandra : Et ça a duré combien de temps cette période d’harcèlement ?

Laura : Ça a duré deux ans.

Sandra : Deux ans où tu étais seule avec ce problème.

Laura : J’étais seule avec ce problème, sans oser en parler, avec la honte et la culpabilité et l’impression de n’être rien, une merde quoi.

Sandra : À quel moment tu t’es dit stop, ça suffit, ils ont tort. À quel moment tu t’es dit il faut se battre ?

Laura : J’ai réagi à partir du moment où j’ai repris un petit peu plus confiance en moi dans l’autre service et où à ce moment-là j’ai pu me reposer, j’ai pu poser les choses à plat disons, être plus reposée, plus à même de réfléchir. Je me suis plainte d’avoir été harcelée par une personne qui, j’étais quand même prise au sérieux.

Sandra : Tu t’es plainte à qui ?

Laura : À la DRH, direction des relations humaines, qui m’a écouté, encouragée à dire la chose et qui a quand même fait en sorte que la personne qui m’avait harcelé pendant deux ans soit obligée de démissionner, de partir. Donc ça déjà… mais malheureusement, bien que la personne soit partie, j’ai continué toujours à avoir du harcèlement quand même.

Sandra : Parce qu’en fait…

Laura : La personne n’était pas seule, c’était tout un groupe de personnes, chose que je ne savais pas.

Sandra : Oui, tu ne savais pas que…

Laura : En fait c’était 3 ou 4…

Sandra : C’était que le début du combat.

Laura : Voilà.

Sandra : Comment ça se fait que ces personnes aient appris ta séroposivité ?

Laura : Tout à fait par hasard. J’ai toutes les raisons de soupçonner une coordinatrice qui… le jour où j’ai été hospitalisée, était sur le même service que moi pour voir des membres de sa famille. Effectivement, tu sais, même dans les hôpitaux on arrive à savoir des choses. Moi-même la première j’ai pu avoir des renseignements sans rien demander sur une personne que je connais et tout à fait par hasard quoi. En fait, ils se sont trompés de nom et puis j’ai su que cette personne-là était soignée dans le même service que moi et qu’elle n’était pas soignée pour une grippe. Même s’ils n’ont pas dit, ils ont dit un nom. Donc quand on donne un nom, on sait très bien que quand on est dans ce genre de service, on n’est pas… hein. Il y a des choses qui se… des indiscrétions. Plus que des indiscrétions même. Des bourdes qui se font dans les hôpitaux.

Sandra : Le secret médical n’existe pas dans les hôpitaux ?

Laura : Bah écoute, j’ai toujours pensé que non parfois, qu’il y a des erreurs, des bourdes qui sont faites. Sans qu’ils veuillent volontairement le faire, que vraiment il y a des bourdes qui se font. Après bon, ça peut être aussi, en allant chercher le médicament à la pharmacie parce que c’est vrai que les pharmaciens parfois ils ne sont pas très discrets : “Madame, vos médicaments !” aux yeux de tout le monde. Après bon, je n’ai pas de honte par rapport à ça. Mais c’est vrai que quand on arrive à lire le nom des médicaments, il suffit de se renseigner pour savoir ce que c’est, que c’est des antirétroviraux, bah, on ne les prend pas pour rien. C’est facile.

Sandra : Et donc cette personne a répété en fait à…

Laura : Je n’en sais rien. Mais on a dit que tout le service, c’est le médecin du travail qui m’a alerté, me convoquant en me disant : madame, on dit de vous, dans tout le service que vous avez le sida”. C’est arrivé aux oreilles du médecin du travail qui m’a convoqué pour m’avertir de ce problème, ce qu’on disait sur moi.

Sandra : Et c’est là que tu as compris que tu te faisais harceler ou pas ? Ou à cause de ça je veux dire…

Laura : J’ai compris pourquoi j’étais harcelé. Oui !

Sandra : Donc le médecin du travail t’a soutenue dans…

Laura : Oui, elle m’a soutenue. Il y a eu des mails qu’elle a gardés concernant ma santé, il y a des choses qui n’auraient jamais dû être. C’est le médecin du travail qui m’a défendu beaucoup, mais à mort quoi, épaulée, soutenue.

Sandra : Et après, quelle porte tu as tapée pour te défendre ? Parce que là je vois que tu m’as apporté une lettre que tu as écrite au Maire…

Laura : J’ai rencontré le syndicat auquel j’étais inscrite depuis quelques années effectivement. Donc le syndicat ont été hyper choqués. Au départ ils n’ont pas voulu me croire, ça paraissait tellement incroyable quand je leur ai raconté l’affichage de poster sur mon lieu de travail…

Sandra : De poster sur le VIH ?

Laura : Sur le VIH, disant, il y avait une photo d’un jeune homme et puis en tout petit il y avait écrit bravo, vous êtes enfin la première personne a osé s’approcher d’un séropositif. Donc si tu veux, c’était sur une campagne pour le sida mais, ça pouvait être pris à double tranchant. Et puis comme hasard, c’était placardé à l’intérieur de mes….

Sandra : Pour que tu le voies.

Laura : Personne d’autre ne pouvait le voir. C’était vraiment, j’ouvrais et puis bon, j’avais tout, voilà quoi.

Sandra : C’était ton placard.

Laura : C’était mon placard. Mon placard de ménage où j’entrepose, parce que maintenant j’ai dû effectivement opter pour autre chose. Ils ont eu du mal à me croire effectivement. Et puis quand ils ont vu quand même, ils ont fini par regarder qui j’étais, bon, il n’y avait jamais aucun problème. Mais c’est tellement incroyable que je me dis mais comment un être humain peut-il encore en arriver là. Ce qui m’a fait réagir aussi c’est dernièrement, ma fille est venue me voir en larmes, ma fille a 20 ans et elle s’est fait arrêter dans la rue par quelqu’un qui travaille avec moi et qui a demandé de mes nouvelles en disant : “avec ce qu’elle a”. Et ils n’ont rien dit d’autre. Elle est arrivée en larmes à la maison, elle me dit : “maman qu’est-ce que tu as ? Tu vas mourir ?”

Sandra : Ah oui parce qu’elle ne savait pas ?

Laura : Bien sûr que non. Je n’ai pas voulu les perturber avec ça. Je n’ai pas voulu…

Sandra : Et du coup, tu leur as dit ?

Laura : Non. Je ne me sens pas le droit de les perturber…

Sandra : Tu penses que ce sera trop lourd pour eux ?

Laura : Ca m’a tellement perturbé moi. J’ai eu beaucoup de mal à… je ne sais comment ils peuvent réagir. Je n’ai pas peur de leur regard par rapport à moi. Je suis leur maman, ils m’aiment. Le regard ne changera pas mais…

Sandra : Tu as peur qu’ils s’inquiètent ?

Laura : Oui.

Sandra : Et donc le syndicat ils t’ont conseillé quoi comme démarche ? C’est quoi le but en fait de toutes des démarches ?

Laura : Que je réintègre mon poste avec la perte de salaire préjudice subit puisque j’ai eu une perte de salaire à la suite de ça. Que je récupère tout de ça de façon rétroactive, que je sois reconduite sur mes fonctions telles qu’elles étaient. Que je sois remise en cuisine puisque ma première vocation c’était la cuisine donc il n’y a pas de raison que je ne puisse pas continuer à exercer en cuisine. Normalement je devrai pouvoir intégrer mon poste sans problème dans quelque temps.

Sandra : Avec la même équipe ?

Laura : Non. Tout le monde a été changé. Il va avoir des remaniements.

Sandra : Est-ce que tu sais s’il y aura des sanctions ?

Laura : Je vais demander des sanctions. On m’a dit il faudrait que tu chiffres. J’ai dit non. Chiffrer c’est, le préjudice que j’ai subi il est, on ne peut pas le chiffrer. L’horreur que j’ai vécue, ça n’a pas de prix, ça ne s’estime même pas tellement ça a fait des dégâts, tellement ma vie de couple a explosé. Ça a fait énormément de dégâts. Tu ne peux pas chiffrer quelque chose comme ça. Mais je veux qu’il y ait des sanctions graves.

Sandra : Ah oui parce que tu étais en couple quand c’est arrivé ?

Laura : Oui.

Sandra : Et maintenant, tu ne l’es plus à cause de ça ?

Laura : En partie oui. Parce que la rumeur a fait que ça s’est su et que mon compagnon qui était aussi contaminé, n’a pas supporté.

Sandra : Je suis certaine que là, il y a des personnes, des hommes, des femmes, qui sont peut-être là, qui subissent un harcèlement au travail à cause de leur séropositivité et ils n’arrivent pas à s’en sortir et n’osent pas en parler. Quel serait le message pour ces personnes ?

Laura : Battez-vous, prenez courage et surtout prenez soin de vous et aimez-vous quoi. Aimez-vous d’abord. Battez-vous parce qu’il n’y a aucune raison qu’on nous interdise de vivre, de respirer et de travailler. On n’est pas des citoyens de seconde zone.

Fin de l’entretien avec Laura

Sandra : Vous venez d’écouter Laura au micro de l’émission de radio Vivre avec le VIH. Il ne nous reste pas beaucoup de temps, on va dire un gros quart d’heure pour réagir là-dessus. Donc on va aborder la thématique VIH/Travail dans la partie juridique. Il y a Samira Hadjaj qui est là, qui est juriste écoutante à Sida Info Service. Je vais tout de suite lui demander quels sont les droits en fait d’un salarié, d’un employé qui se rend compte qui se fait harceler à cause de sa séropositivité. À qui peut-il en parler ? Comment ça se passe ?

Samira Hadjaj : Tout d’abord c’était un témoignage assez émouvant de Laura. Puis on l’encourage vivement dans ses démarches. Ensuite, sur les droits du salarié, lorsqu’il est victime de discrimination, faut savoir que la discrimination déjà c’est une infraction en soi. La discrimination, les motifs discriminants, les motifs qui font qu’on ne peut pas traiter une personne de façon différente en raison d’un certain nombre de critères. Ce critère, ça peut être son sexe, son orientation sexuelle, ses problèmes de santé, handicap ou même son lieu de domicile. Ces critères sont énoncés dans le Code du travail. Traiter quelqu’un de façon différente en raison d’un de ces critères, c’est constitutif d’une infraction et c’est sanctionné par le Code pénal. La discrimination c’est un fait juridique qui est traité de façon assez particulière dans le sens où lorsqu’on est victime de discrimination, donc soit en raison de son sexe, son orientation sexuelle ou d’un problème de santé ou autre, la charge de la preuve est renversée. C’est-à-dire que c’est contre celui qu’on engage la procédure, c’est à lui de démontrer que s’il a traité la personne de façon différente, ce n’est pas en raison de l’un de ces critères discriminants. Donc ça, c’est vraiment quelque chose d’assez important. C’est-à-dire que ce n’est pas à soi de venir et d’apporter des preuves et des éléments disant, si si j’ai bien été discriminé en raison de mes problèmes de santé, la preuve est que. Non. C’est vraiment à l’employeur, dans le cas particulier de Laura, c’est à l’employeur de démontrer pourquoi est-ce que Laura a été mutée dans un autre service, pour quel motif, si ce n’est ces problèmes de santé. Dans le cas particulier de Laura, par exemple, c’est ce qu’il faut faire à ce moment-là, si elle allait dans une entreprise où il y a des syndicats et que le syndicat en même temps se mobilise pour son problème, c’est une très bonne chose. Contacter le médecin du travail quand on a un médecin du travail en faveur du salarié, c’est aussi une très bonne chose parce que ce n’est quand même pas toujours le cas. Ensuite faut pas oublier au niveau des organisations et des institutions qu’on a, c’est l’inspection du travail. Contacter également l’inspecteur du travail et après c’est directement saisir la juridiction prudhommale. Les faits de harcèlement, c’est un peu différent parce que le harcèlement ce n’est pas toujours facile à démontrer. Comme elle l’indique au début de son interview, c’est qu’au début c’était de façon pernicieuse. Il n’y avait pas vraiment d’éléments écrits. C’est une réaction différente de l’employeur mais qui ne consigne pas ça par écrit donc c’est toujours assez difficile. Donc après il faut réussir à porter des témoignages. Quand on a des salariés, des collègues qui ne sont pas nécessairement en faveur de la victime, du moins disons que voilà, que le harcèlement c’est quelque chose d’assez difficile parce qu’il faut déjà pouvoir démontrer qu’on est vraiment victime de harcèlement et ça ne se matérialise pas toujours pas des écrits. Quand on a des écrits, faut vraiment les conserver précieusement parce qu’on en aura besoin au moment où on saisit la juridiction prudhommale. Mais je tenais en particulier à insister sur le fait que la discrimination c’est vraiment sanctionnée pénalement. Donc ce n’est pas quelque chose d’anodin et c’est quelque chose qui doit être pris au sérieux. Il faut que les personnes qui sont victimes d’une discrimination sachent que la charge de la preuve est renversée. Tout le poids de la preuve ne va pas reposer sur elle mais va reposer plutôt sur la personne qu’elle désigne comme étant la personne discriminant.

Sandra : Le médecin du travail, en fait, est-ce qu’il a le droit de savoir qu’on est séropositif ? Est-ce qu’on doit tout lui dire obligatoirement ? À quoi sert-il ce médecin du travail ?

Samira Hadjaj : Le médecin du travail a le droit de savoir. Mais on n’est pas obligé non plus de lui dire. Et s’il a le droit de savoir, le médecin du travail il est soumis au secret médical. Ce secret médical, c’est vraiment quelque chose d’important et toutes les informations qu’il a, il a certainement pas à les porter à la connaissance d’une autre personne. Ensuite sur le VIH et le médecin du travail, il y a très peu de professions en France où être séropositif pourrait générer un problème. Au niveau du code de la santé publique, on a un article en particulier qui précise que les personnes qui travaillent dans les établissements de santé recevant du public, ces personnes doivent être immunisées contre l’hépatite B. Ca ne vise même pas en soi le VIH mais ça vise l’hépatite B. Sauf qu’on sait concrètement que les personnes qui sont séropositives, vont avoir des difficultés à être immunisées contre l’hépatite B. Ce principe que je rappelle c’est juste pour indiquer qu’en soi, le fait d’être séropositif, ça ne doit pas entraver l’accès à un emploi tel qu’il soit. On peut être séropositif et travailler dans un milieu hospitalier. À ce moment-là, le médecin du travail s’il en est informé, il va peut-être affecter la personne à un service particulier juste pour être sûr qu’il n’y ait pas de, même pour la personne elle-même, qu’il n’y ait pas de risque inconsidéré. Mais il n’y a aucun emploi qui peut être interdit à une personne du fait de sa séropositivité. Donc il faut vraiment faire attention là-dessus. Ce n’est pas parce qu’on est séropositif, qu’il y a un emploi particulier qu’on ne pourrait pas exercer en fait. Toutes les portes sont ouvertes.

Yann : Je reviens sur ce que disait Sandra. C’est vrai qu’il y a un grand trouble avec le médecin du travail. Moi, en tant que personne concernée, qui travaille, je n’ai jamais parlé de ma vie de santé avec la médecine du travail parce que ce grand trouble c’est qui est vraiment le médecin du travail ? Ce rapport avec l’entreprise, qu’est-ce qu’il a ? Comment ça se gère ? Quelles sont les réunions qu’ils font ? On est dans un monde un peu trouble. Personnellement en plus je ne pense pas que pour, quand on va bien j’entends, c’est une chance pour moi, mais je ne pense pas que ce soit forcément un atout d’en parler parce que j’ai toujours peur qu’il y ait une vision différente et qu’après soit dans le meilleur des cas, peut-être de la compassion, ou soit dans le pire des cas, de la discrimination. Ça me rappelle tellement une jeune qui est arrivée au yoga au Comité des familles, et c’est la force de notre association, l’autogestion, l’entraide entre les membres. Au bout de 3-4 cours de yoga, elle se sentait un petit mieux et puis elle nous a parlé ce ce qu’elle vivant actuellement et de la difficulté mais pas prête encore à prendre cette grande montagne et de se battre. Peut-être 15 jours après, elle m’a demandé si je n’avais pas des contacts. Je l’ai mise en contact avec l’excellente association ARCAT et la juriste qui fait un travail énorme, Élodie. Joël que tu connais bien, qui est membre du Comité des familles, qui lui a vécu 15 ans de discrimination, qui a gagné à la fin contre une énorme banque. Donc vous voyez que tout est possible. Donc cette femme a repris confiance grâce à des personnes concernées, grâce à des juristes qui se sont battus donc c’est possible et c’est un espoir. Surtout ne restez pas dans ce, parce qu’il y a tout qui s’ébranle, l’estime de soi, c’est monstrueux comme attaque.

Sandra : Le médecin du travail n’a pas obligation de savoir que la personne est séropositive mais l’employeur aussi alors ?

Samira Hadjaj : L’employeur surtout pas. L’employeur n’a pas à être informé de la séropositivité d’une personne. Ça fait partie de sa vie privée. Point. Ça fait partie de la vie privée du salarié qui n’a pas à informer l’employeur de cet élément-là. Le médecin du travail, c’est pareil. Il n’y a pas d’obligation. Après, personnellement au niveau de Sida Info Service parfois on reçoit des appels de personnes qui sont séropositives et qui ont des problèmes de santé. Et qui ont des problèmes de santé tels qui font qu’un moment donné, elles ne peuvent plus exercer leur travail à temps plein et qui à ce moment-là souhaiteraient s’orienter vers mi-temps thérapeutique. Donc là, à ce moment-là, là le médecin du travail peut avoir un rôle dans le sens où il va aider le salarié à voir avec le salarié pour que son poste soit adapté par rapport à son état de santé et aux difficultés qu’il rencontre actuellement. Mais c’est pareil, au niveau de l’employeur, surtout pas et au niveau du médecin du travail, il n’y a aucune obligation.

Sandra : Alors attends, Yann. Juste la parole à Bernard qui est venu quand même spécialement pour parler sur ce sujet. As-tu des questions là-dessus ?

Bernard : Déjà, je veux d’abord préciser que ça dépend de la configuration de toute entreprise. Parce que déjà, moi particulièrement comme je travaillais dans une entreprise de conditionnement de produits alimentaires, là c’était différent. Le médecin du travail par exemple lui, il avait sa clinique et il prenait en charge toutes les maladies qui se prenaient au niveau de l’entreprise. On était hospitalisé dans son cabinet. Bon voilà, c’est de là qu’est tout parti, suite à un malaise que j’ai eu, j’ai été hospitalisé. Le médecin du travail il a été au courant que je suis séropositif. Alors qu’est-ce qu’il a fait ? Faisant partie du comité de santé et d’hygiène de l’entreprise, c’était une usine de fabrication et de production de produits alimentaires. On prenait les réunions tous ensemble tout le temps. Ayant l’information bien sûr, bien évidemment par sa clinique, je ne sais pas comment cela s’est propagé. Il parait que c’est arrivé de bouche à oreille. Déjà là, les collègues ont été mis au courant. Et moi travaillant dans le service d’hygiène et de sécurité environnement et qualité, j’étais dans le four et le moulin du travail de ces produits alors voilà, du jour au lendemain, ça a commencé à dégénérer, les indifférences. Au niveau du travail au laboratoire. Ils ont commencé par isoler certains outils de travail comme les outils coupants et autres. Au niveau du réfectoire déjà, la sympathie qu’il y avait, il n’y en a plus. Je remarquais aussi déjà la réapparition des mêmes outils, des mêmes ustensiles, de mêmes assiettes et autres qui me revenaient. Au niveau des vestiaires, je voyais quelques écarts et là je n’ai pas compris pourquoi, je me suis rapprochée des ressources humaines. J’ai posé mon problème, j’ai dit, j’ai été depuis un certain temps, je constate qu’il y a ça et ça, j’ai donné des exemples précis. Il m’a dit oui, le médecin du travail nous a informés. On en a discuté et ils se sont dit que je représente un risque pour l’entreprise peut-être. Mais je leur ai expliqué comment ça parce que nous, dans le comité d’hygiène et de sécurité, nous débattons des maladies professionnelles. Nous mettons des barrières par rapport à des cas de maladies qui pouvaient être causées dans le travail. Bon, là le VIH, je ne vois pas le rapport et tout. On en a rediscuté et on est parti de là et puis à un moment donné, ça a dégénéré et puis il y a eu des injures et puis des accrochages par rapport à ça avec des collègues. C’est un de mes collègues les plus rapprochés, il m’a dit comme tu es en CDD, le patron ne veut pas te reconduire parce que tu représentes un risque pour l’entreprise. Ça m’a découragé. Je n’ai pas attendu la fin de mon contrat pour démissionner. C’est de là que c’est parti. J’ai bien voulu commencer par des actions ou engager des actions contre mon employeur, je me suis dit c’est mieux de me reconvertir ailleurs et puis voilà.

Yann : Et ça, c’est en France ?

Bernard : Non, pas particulièrement en France.

Yann : Ça ne s’est pas passé en France ?

Bernard : Non, pas en France.

Yann : Dans quel pays ? Tu n’es pas obligé de le dire mais…

Bernard : Dans un pays africain.

Yann : C’est important de le préciser.

Bernard : Là-bas, c’est un peu différent qu’en France.

Sandra : Ce n’est pas les mêmes lois.

Bernard : Il y a des structures mises en place pour le suivi, il y a une traçabilité entre la santé et le travail.

Yann : Tu peux que c’est totalement impossible Samira qu’un médecin du travail puisse avoir une clinique ?

Samira Hadjaj : Oui, que le médecin du travail ait la clinique, qu’il reçoive dans sa clinique, les salariés de la société, qu’en plus il fasse partie du comité d’hygiène de l’employeur. Il cumule toutes les casquettes.

Sandra : C’est juste pas possible.

Bernard : Dans l’entreprise, il y a un service d’infirmerie. Ce service d’infirmerie fonctionne 24/24. Dans cette infirmerie, le patron c’est le médecin du travail. Et quand vous avez une infection, une maladie, vous passez par l’infirmerie et si c’est grave, on vous envoie à l’hôpital, à la clinique du médecin. Et c’est de là que tout part. C’est parti de la clinique à l’infirmerie et de l’infirmerie à l’usine. Voilà un peu le rapprochement que je peux établir par ici. C’est là où tout a dégénéré.

Sandra : Merci pour ton témoignage Bernard. Je vais poursuivre avec Samira, les conseils à donner aux auditeurs qui peut-être se retrouvent dans une situation, qui sont un peu seuls. À qui doivent-ils en parler ? Ils sont séropositifs mais ils se disent mais si j’en parle à la DRH…

Samira Hadjaj : Ca pose une difficulté de savoir à qui on doit s’adresser parce qu’il faudrait que la personne à qui on s’adresse de cette difficulté là, déjà ce soit une personne qui soit soumise au secret professionnel de façon à s’assurer qu’elle ne divulgue pas cette information à d’autres personnes. Hors concrètement la réalité c’est que même dans une entreprise où il y a des délégations syndicales ou délégations du personnel, ce n’est pas nécessairement des gens qui sont soumis au secret professionnel. Donc c’est très délicat de leur en parler. En fait dans ces cas-là, malheureusement la personne doit se constituer déjà par elle-même un dossier pour montrer que là, il y a eu un traitement différencié et ensuite porter cette affaire devant la justice directement devant le conseil des prudhommes de façon à avoir une sanction contre l’employeur.

Sandra : Et comment elle se constitue un dossier avec des preuves ?

Samira Hadjaj : Là, par exemple, dans le cas de Laura, tous les actes, l’acte de mutation indiquant qu’à telle date elle a été affectée dans un autre service, dans ces cas-là, au niveau des conseillers, ils s’interrogeraient pourquoi à telle date tout d’un coup, alors que la salariée était depuis X années dans l’entreprise à ce poste, pourquoi tout d’un coup on l’affecte dans un autre service ? Quelle est la motivation ? Donc il appartiendra dans cette hypothèse-là à l’employeur de se justifier. En sachant, je répète toujours, en sachant que dans ces cas-là, c’est à l’employeur de démontrer que s’il a affecté Laura dans ce service, c’est pour un autre motif que son état de santé. Il faut garder en fait toutes les pièces et tous les documents qui montreraient qu’à un moment donné, il y a eu un traitement différencié, qu’à un moment donné des choses ont changé à notre égard. Donc après ça peut prendre vraiment toutes les formes. Ça peut être aussi des attestations de collègues.

Sandra : Si les auditeurs ont des questions sur leur cas personnel, ils peuvent appeler Sida Info Service.

Samira Hadjaj : Ils peuvent appeler Sida Info service au 0 800 840 800.

Sandra : Je ne sais pas si, Joëlle on a oublié une question à aborder, peut-être un point important. Je sais que tu avais noté quelques points importants. Est-ce que selon toi, tout a été abordé ou sinon, de toute façon, les gens peuvent appeler Sida Info service ou nous contacter au 01 40 40 90 25.

Joëlle : Peut-être, quand un salarié est atteint par le VIH, est-ce qu’il peut continuer à travailler et dans quelles conditions, c’est plus dans quelles conditions.

Samira Hadjaj : Oui, si un salarié est atteint du VIH, le fait d’être atteint du VIH, ça ne doit pas changer les conditions de travail. Quelque part, c’est même sans incidence. Donc si un salarié est atteint du VIH, il continue son emploi. Être porteur du VIH, c’est un élément constitutif de la vie privée. Le salarié n’a pas à en informer son employeur.

Bernard : Je voulais demander, si on n’a pas des éléments palpables, des éléments de preuves concrètes comme dans mon cas, quelles sont les voies de recours ?

Samia Hadjaj : Bah si dans le cas qui a été évoqué par Bernard, il y avait justement des preuves. Le traitement différencié. Le fait qu’à un moment donné, au niveau de la cuisine, des repas, tout ce qui était assiette, que ça revienne au salarié. Du moins dans le témoignage, on voit qu’à un moment donné, il y a eu un traitement différencié. C’est le salarié qui est porteur de sa procédure, de sa démarche. C’est à lui dire de dire oui, à tel moment, il y a eu un traitement différencié. Et après c’est à l’employeur de dire qu’il n’y en a pas eu. Donc c’est vraiment c’est à l’employeur de démontrer qu’il n’a pas discriminé.

Yann : Je pense que Bernard a pris la bonne solution de rebondir et de changer de cap parce que dans ce pays en question, je pense qu’il aurait été vraiment très seul voyant déjà comment le système est organisé entre l’entreprise, le médecin du travail, ça sent vraiment, t’es d’accord ? Ça sent vraiment l’argent qui reste dans la même famille quoi un petit peu. Donc voilà, ici déjà c’est compliqué pour faire reconnaitre qu’on est… donc je pense que dans ce pays en question, ça doit être encore plus délicat. Et maintenant tout va bien Bernard ?

Bernard : Je suis très bien parce qu’avec le Comité des familles, j’ai retrouvé une vraie famille. Mais le véritable problème que j’ai c’est qu’à l’issue de ce témoignage, j’avais l’intention, parce que le collègue qui m’en a passé l’information, était prêt. Il m’a dit lui, il voulait préserver son emploi et parce que si j’engageais des voies de recours, il n’était pas prêt à témoigner. Ça m’a bloqué un peu complètement parce que là j’avais un élément essentiel pour commencer.

Sandra : La discussion continue sur le site comitedesfamilles.net. Merci Samira d’être venue. Et n’oubliez pas, le numéro de Sida Info service c’est ?

Samira Hadjaj : 0 800 840 800.

Transcription : Sandra Jean-Pierre

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