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28.05.2015

Discrimination des personnes séropositives en France : toujours d’actualité

Yann, Sandra Nkake, Jî Drû, Christine Hamelin et Elise Marsicano

Sandra : Christine Hamelin et Élise Marsicano qui sont là aujourd’hui tout spécialement. Vous avez participé à la rédaction d’un article qui s’appelle «les personnes vivant avec le VIH face aux discriminations en France métropolitaine». Vous dites dans cet article que les représentations stigmatisantes envers les personnes séropositives en France n’ont pas disparu”. Ça veut dire qu’il n’y a eu aucune évolution ?

Christine Hamelin : Sur la question de l’évolution précisément, c’est un peu difficile de répondre précisément puisqu’on a peu de données antérieures. C’est une étude qui a été menée en 2011 dans le cadre de l’enquête Vespa, dont on a déjà pas mal parlé à ce micro. Donc en tout cas ce qu’on peut dire, c’est que dans notre étude, 1 personne sur 5…

Yann : Si on peut rappeler ce qu’est l’étude Vespa ?

Sandra : Merci Yann.

Christine Hamelin : L’étude Vespa c’est une étude qui a été menée auprès de 3000 personnes séropositives qui consultent à l’hôpital. C’est une étude qui s’intéresse à la fois aux questions de santé mais aussi, et c’est un peu sa particularité, aux conditions de vie et aux aspects sociaux de la vie avec le VIH. Dans les aspects sociaux, il y a le travail évidemment, il y a les relations avec les autres et il y a la question des discriminations, c’est-à-dire le fait d’être traité injustement pour différentes raisons y compris pour la séropositivité. Donc c’est une étude qui se veut représentative, comme on dit dans notre jargon, de la population séropositive, c’est-à-dire que tous les groupes sont représentés. Et donc sur la question des discriminations, l’étude montre qu’elles sont très présentes puisqu’une personne sur 5 déclare avoir vécu des discriminations dans les deux dernières années. Donc ça veut dire avoir été traité injustement, avoir essuyé un refus de soin par exemple ou avoir subi une discrimination à l’embauche. Ce qui est beaucoup. Mais en même temps ce n’est pas tout le monde.

Elise Marsicano : En fait je voudrai juste revenir sur la question de l’évolution parce qu’on a quand même d’autres données qui montrent que les représentations stigmatisantes envers les personnes séropositives ont quand même diminué depuis les années 80 et heureusement. Mais ce que montrent très bien ces enquêtes, sur lesquelles on a un certain recul, c’est que oui les représentations stigmatisantes diminuent quand on parle de personnes avec qui on doit travailler, ça, ça va. Mais dès que c’est des gens avec qui on a des relations de plus en plus proche, là, ça devient plus compliqué. Donc en gros, on veut bien travailler avec un séropositif, on veut un peu moins qu’il garde nos enfants et on veut encore moins avoir des relations sexuelles avec cette personne. Donc évolution mais il y a toujours… plus c’est proche et plus ça reste compliqué. Donc ça, ce n’est pas cette enquête qui permet d’y répondre mais ça, on sait par ailleurs qu’il y a encore pas mal de résistance et en particulier dès qu’on se rapproche des gens en fait.

Sandra : Yann et Caroline, êtes-vous d’accord avec ce que vient de dire Élise ?

Caroline : Parfaitement. C’est vrai que jusqu’ici, il n’y a pas peut-être pas des études qui précisent ce qui se passe dans les ménages mais il faut rappeler que très souvent, de façon globale, on dit le VIH c’est compris, la discrimination il n’y en a plus mais quand on se rapproche de plus en plus des personnes séropositives, on se rend compte que tout autour de la personne, ça se vit la question de la discrimination.

Yann : Après il faut savoir que nous, ici les gens sont quand même beaucoup plus informés donc on en souffre beaucoup moins que dans d’autres pays. C’est culturel quoi. Il y a des tabous qui sont beaucoup plus fort dans d’autres cultures.

Sandra Nkaké : Je me posais la question du rapport de discrimination entre des zones très urbanisées et des zones moins urbanisées ? Est-ce que les personnes atteintes du VIH en milieu rural par exemple se sentent plus victimes de discrimination qu’en zone urbaine ? J’ai l’impression qu’on est plus informé en ville.

Yann : Beaucoup plus parce que nous on a par exemple des personnes en Bretagne qui se sont énormément rapprochées du Comité des familles en trouvant l’idée belle, cette autogestion, le fait que les personnes concernées et ceux qui les aiment pouvaient faire des choses et organiser des événements en fonction de leur demande en tant que séropositif. Et c’est le désert total.

Sandra Nkaké : Donc c’est la double…

Yann : La double peine, vraiment. Ils s’en sont plein. Nous on y a été à 2-3 personnes voir un peu ce qui se passait pour essayer de monter un truc. Il y a quelques personnes courageuses, je pense notamment à Loane qui essaye de se battre en ayant 4 enfants et tout ça. Et qui se sent très esseulée, qui est stigmatisée, montrée du doigt, voilà. Donc déjà, rien qu’en France, dès qu’on quitte un peu Paris, les grandes villes… tu vois bien que même sur, bon, Marseille ce n’est pas un problème, Toulouse tout ça. Mais après, tu vas sur Montpellier, ça commence à être un désert. Il y a vraiment une grande pauvreté pour que les gens puissent se réunir, en parler, tout ça.

Sandra : Puis il y a le fait qu’en province, parfois c’est des petites villes, des petits villages. Du coup, tout se sait quoi. Ce n’est pas comme ici à Paris où on peut un peu vivre dans l’anonymat donc c’est différent.

Yann : Et puis si tu l’as, c’est parce que soit tu as couché avec trop de filles, soit c’est parce que tu es une fille facile, voilà souvent ce que les gens ont gardé en tête parfois.

Sandra : D’après votre enquête, les personnes séropositives ne subissent pas uniquement des discriminations à cause de leur infection VIH. Pouvez-vous préciser ?

Elise Marsicano : En fait, ce qui est assez intéressant quand on regarde les travaux sur les discriminations VIH, c’est qu’on dirait que les personnes séropositives, elles sont que séropositives. Elles ne sont rien d’autre. On est séropositif donc voilà, tout est dit.

Yann : Mais parfois c’est eux-mêmes qui ont créé ce truc-là. C’est une forme d’identité. C’est pour ça que moi je dis qu’il faut vivre avec mais pas vivre dedans quoi. On a d’autres choses qui nous excitent dans la vie que de se dire… en plus qu’on est des super gâtés par rapport aux traitements et à la possibilité de se soigner quoi. Je le rappelle souvent.

Elise Marsicano : Ce que je vais rappeler de manière, enfin c’est très bête ce que je vais dire, mais les séropo c’est des femmes, des hommes, des migrants, des non-migrants, des usagers de drogues, des non-usagers de drogues, des homo, des hétéro, des bi. Bon. Je fais des grosses catégories. Ce qu’on observe c’est que quand on est une femme séropositive, on rapporte beaucoup plus de discriminations que si on est un homme. Si on est une femme migrante alors là c’est carton plein. Usager de drogues, c’est pas mal aussi. Et que bien sûr les hommes hétéro non migrants rapportent des discriminations mais beaucoup moins. Et ce qu’on observe, c’est que finalement, ce qui se joue pour les personnes séropositives c’est aussi ce qui se joue dans l’ensemble de la société et qu’on observe les mêmes rapports de pouvoir et la même hiérarchie sociale en fait qui se recrée au sein de la population séropositive. Et c’est vraiment important d’avoir ça en tête parce que la séropositivité, ça n’enlève pas le racisme, ça n’enlève pas l’homophobie, ça n’enlève pas le sexisme. Quelque part même ça peut peut-être l’accentuer. C’est important d’avoir ça en tête. Il ne faut pas oublier que derrière les personnes séropositives, il y a des gens avec des statuts et des caractéristiques différentes.

Sandra : Caroline, as-tu déjà été victime de discrimination ou as-tu déjà entendu dans ton entourage des remarques de personnes qui ont été discriminées ?

Caroline : C’est vrai que c’est des expériences qui ne sont pas dans la France, mais beaucoup plus au niveau de l’Afrique. Vous savez qu’au niveau de l’Afrique, il y a encore des sujets tabous. C’est des sujets qui ne sont pas très discutés dans des familles. Donc c’est des expériences qui partent des familles, qui ne supportent pas toujours de voir leurs personnes proches atteintes de VIH et ils se disent que c’est une maladie qu’on a contractée à cause des mauvais comportements, à cause des mauvaises attitudes et très souvent on a des attitudes qui ne sont pas très bonnes vis-à-vis de ces personnes. C’est vrai que j’ai des expériences autour de moi, des personnes qui ont été rejetées par des familles, par des partenaires complètement à cause de leur situation VIH.

Sandra : Y-a-t-il des choses qui se font en Afrique pour lutter contre les discriminations, est-ce tu penses à un pays en particulier ?

Caroline : Oui je citerai précisément le Cameroun d’où je viens. Où, en ce moment, il y a une campagne de lutte contre la discrimination qui se met en place. À la suite d’une enquête sur l’index de stigma, qui a été faite en 2010 et en plus de ça, il y a d’autres pays qui le font parallèlement. Je ne sais pas si les plans de lutte contre la discrimination sont déjà mis en place. Mais il est déjà quand même connu que des enquêtes sur l’index de stigmatisation ont été faites au Sénégal, au Tchad, au Cameroun, au Gabon. Et les résultats sont disponibles aussi sur le site, je crois le site stigmaindex et vous allez retrouver.

Christine Hamelin : Par rapport à la famille, dans notre étude, donc en France aussi, il y a une personne sur 10 qui déclare des discriminations dans la famille. Là, on est en France. Donc ce n’est pas tout à fait la même situation. Mais quand même c’est fréquent, en particulier les femmes d’origine d’Afrique, de pays d’Afrique mais aussi ce qu’on a appelé les minorités masculines dans notre langage, c’est-à-dire les hommes gays et les usagers de drogues ou anciens usagers de drogues qui déclarent vraiment, enfin la famille c’est un lieu de réconfort mais c’est vraiment aussi un lieu de discrimination et on ne le dit sans doute pas assez. Ici en France, on parle beaucoup de l’emploi, la recherche d’emploi, ce qui est normal, la recherche de logement aussi. Mais voilà, aussi dans la famille il y a des discriminations en France.

Sandra : La recherche d’emploi, ce n’est pas chose facile pour tout le monde mais pour les personnes séropositives, cela peut s’avérer encore parfois plus compliqué alors pourquoi ? Au travail, on n’est pas obligé de dire qu’on est séropositif donc pourquoi les personnes subissent des discriminations à cause de leur VIH ?

Elise Marsicano : C’est difficile de dire, de trancher, ce qui est lié au fait d’être séropositif déjà, parce qu’effectivement les gens ne le disent pas, surtout à un entretien d’embauche. Quelqu’un qui poserait une question là-dessus ce serait assez problématique. Ça doit arriver, tout est possible malheureusement…

Yann : Du type, avez-vous une maladie chronique ou…

Elise Marsicano : Ou avez-vous prévu d’avoir des enfants dans les deux prochaines années. Mais en fait, c’est un peu ce que je disais tout à l’heure, c’est que les personnes séropositives elles ont des caractéristiques par ailleurs qui les exposent aux discriminations parce que c’est plus souvent des migrants, c’est plus souvent des homos et donc elles sont aussi discriminées au moment de la recherche d’emploi, elles peuvent être discriminées sur ces caractéristiques-là et aussi sur des caractéristiques sociales. C’est des populations globalement quand même plus pauvres, je pense que c’est quand même important de le dire. Au moment de la recherche d’emploi, on sait que c’est un contexte qui expose beaucoup de discriminations pour tout le monde. Il n’y a pas besoin d’être séropositif pour être exposé à la discrimination. Mais donc là, on a des populations qui cumulent vraiment un certain nombre de caractéristiques qui vont malheureusement les exposer aux discriminations et finalement, la question de la séropositivité, là, elle n’est pas centrale.

Sandra Nkaké : Il y a le problème de la recherche d’emploi mais il y a aussi j’imagine le problème de, une fois qu’on a un emploi, et que par on ne sait quel biais, l’employeur apprend qu’on est séropositif, qui puisse contre-attaquer en vous virant pour une raison pas du tout valable. Moi, j’ai déjà entendu des histoires comme ça et ce que je trouve assez dingue d’ailleurs.

Yann : Mais c’est vraiment un dossier qu’on a souvent traité ici. C’était la question de se poser est-ce que dans le monde du travail, je peux en parler à mon médecin du travail ? Moi, personnellement, je n’en ai jamais parlé à mon médecin du travail. Pourquoi ? Parce que je me disais que…

Sandra Nkaké : Que tu étais un homme tu veux dire ?

Yann : Non (rires). Donc si tu commences à parler au médecin du travail qui lui, est aussi rémunéré par l’entreprise, pour moi ça venait d’un sens…

Sandra : Bon, le médecin du travail du travail est là pour défendre les employés. Je tiens à le dire quand même.

Sandra Nkaké : Mais c’est quand même dingue parce qu’on devrait pouvoir dire à son médecin travail “je suis séropositif, je suis diabétique, je suis névrosé” enfin je veux dire…

Sandra : Mais le médecin du travail est là pour ça, vraiment.

Yann : Moi, je travaille avec des financiers, ils ont de l’argent à la place du coeur donc je n’ai pas eu envie de m’étaler.

Alexandre : Mais c’est compréhensible mais d’un autre côté, le médecin du travail il n’est pas tenu à tout prix au secret médical même s’il est affilié à l’entreprise ?

Yann : Moi, dans la convention collective, il est absolument tenu au secret médical.

Sandra : Bah oui ! C’est un médecin.

Yann : Il doit en revanche faire en sorte de mettre en place les meilleures manières pour que tu puisses travailler, par rapport à ton handicap. Mais en aucun cas il ne doit révéler ton handicap.

Sandra : Bah oui parce que si jamais il y a fuite, on peut contre-attaquer. Faut pas croire que les médecins ont tous les droits. Je suis bisounours c’est ça ? (rires)

Yann : Non, non tu as raison.

Jî Drû : Il y a deux choses. Il y a le principe que tu rappelles, qui est que les médecins sont là pour protéger les gens et qu’ils sont protégés par le secret. Après il y a la démarche individuelle. Yann, qui a l’air d’être quelqu’un d’être en position de force, qui est équilibré, a choisi dans sa démarche de ne pas en parler. Après, effectivement, si on est en position de faiblesse, si on est malade, si on se sent faible, si on a envie de discuter, si on a envie de parler, on peut être amené à en discuter avec le médecin du travail ou avec un collègue. J’imagine que c’est par plus ce biais-là qu’effectivement les choses se savent et puis après, on a fait le tour de la question. Comme il a été rappelé, on n’est pas que séropositif, on est aussi parfois dans une situation familiale difficile, dans une situation parce qu’on est homo ou parce que je ne sais pas quoi. Une situation qui va amener les autres à nous stigmatiser. Donc ce n’est forcément pas simple. Et ça amène toujours effectivement à un choix individuel, par exemple celui de Yann c’est de ne pas en parler même s’il sait qu’effectivement les médecins sont là évidemment pour protéger les gens.

Yann : J’aimerais avoir une super confiance au médecin mais on a eu des retours vraiment hyper négatifs de gens qui ont eu des procédures de licenciements, de trucs horribles quoi.

Jî Drû : Un jour, un matin, utilise cet argument contre le collègue ou… voilà, c’est l’aventure du travail.

Yann : C’est l’humain.

Sandra : Bon, moi j’ai quand même une histoire, c’était Laura qui avait témoigné dans l’émission Vivre avec le VIH. Une femme qui travaille dans la cuisine, qui est passionnée par son métier et puis malheureusement en fait, ses collègues ont découvert qu’elle est séropositive et donc ils ont commencé un peu à la mettre à l’écart, à dire qu’elle ne faisait pas bien son travail et tout. Et c’est grâce à son médecin du travail qu’elle a pu obtenir justice. Donc comme quoi… voilà. Normalement ça se passe bien.

Jî Drû : Alors après, pour retourner encore l’histoire malheureusement, après malheureusement dans quelles conditions. Et puis continuer à bosser avec des gens qui vous ont montré du doigt, ça reste une situation difficile.

Sandra : Non, ses collègues ont été je crois changé de service.

Jî Drû : Ont été mangé (rires)

Sandra : C’est ça, elle a fait une recette avec eux (rires).

Yann : Trop de viande ne gâche pas la sauce !

Sandra Nkaké : Donc en gros, on a un énorme travail d’éducation à faire et d’information dans toutes les couches sociales.

Sandra : Eh oui, que ce soit dans la famille, au travail

Sandra Nkaké : À l’école…

Sandra : Dans le personnel de santé aussi. J’ai vu que dans l’enquête, là aussi dans ce domaine-là, il y a des discriminations. Pour moi je me dis, t’es médecin, tu sais comment le VIH se transmet. Je ne vois pourquoi il y aurait des discriminations.

Christine Hamelin : Bah oui, dans les services de santé normalement, on est vraiment tenu à une neutralité, à un comportement, à respecter l’universalité.

Yann : Nos amis dentistes si vous nous entendez !

Sandra : T’as une dent contre eux, vraiment !

Christine Hamelin : Donc effectivement on a vu qu’il y avait des discriminations dans les services de santé. On peut évoquer les dentistes, on peut aussi parler des gynécologues et en particulier, pourquoi j’évoque les gynécologues mais pas seulement eux, mais c’est parce qu’on a vu encore une fois que les femmes étaient particulièrement exposées dans les services de santé, donc on peut se dire, les femmes ont à faire un peu plus aux services de santé mais c’est aussi sans doute parce qu’on est discriminé en tant que femmes finalement ayant peut-être eu une sexualité ou un comportement hors norme on va dire. Il y a vraiment effectivement des discriminations dans les services de santé qui touchent d’ailleurs aussi les personnes, on va dire pauvres, en particulier les chômeurs dans l’étude et ça, c’est quelque chose qui est connu par ailleurs, que les discriminations sociales dans la santé existent, peut-être mais plus que les discriminations dites raciales. En particulier, on connait bien l’exemple de la CMU, AME, etc. Et qu’on retrouve beaucoup cette problématique dans la population qui vit avec le VIH aujourd’hui.

Sandra : J’ai reçu dernièrement une femme au Comité des familles et qui m’a dit qu’elle a été reçue à Paris par une infectiologue pour son VIH. Elle est d’origine de la Côte d’Ivoire et l’infectiologue lui a dit mais je ne comprends pas pourquoi vous êtes là, vous n’avez qu’à retourner dans votre pays, il y a le traitement, vous n’avez rien à faire ici. Une infectiologue ! Donc je me suis dit là, c’est grave quoi !

Yann : C’est grave si elle n’est pas vraiment au courant de comment ça se passe dans le pays en question quoi. Autrement….

Sandra : Et puis même, elle n’a pas à dire ça. C’est tout.

Yann : Je connais des médecins qui essayent de diminuer le trou de la sécu, ça existe aussi. Faut pas non plus leur jeter la première pierre. Moi je vois certains médecins à Saint-Antoine qui bossent comme des fous, qui pourraient faire un semi-privée pour prendre de l’oseille ou quoi que ce soit et qui ont cette passion du service public donc il y en a vraiment certains où je dis un grand chapeau, ils ont 15 minutes par patients. Le service de l’hôpital, on le sait, ce n’est plus ce que c’était. Il n’y a plus d’argent, il n’y a plus de secrétaire. Ca leur demande une polyvalence, on demande de plus en plus et il y en a certains qui font ça comme un sacerdoce et avec le plus grand don quoi.

Sandra : Caroline, par ton expérience, as-tu déjà entendu des discriminations de la part des professionnels de la santé ?

Caroline : En France particulièrement pas encore mais dans mon pays d’origine oui, il y a plusieurs témoignages que nous avons aussi reçu, des personnes qui ont été discriminées par le personnel soignant. C’est des cas où vous allez arriver à l’hôpital, votre carnet est chaque fois renvoyé à la fin, et puis on va vous recevoir le dernier.

Yann : Parce que dans le carnet il vaut mieux mettre une petite enveloppe, un petit bakchiche. C’est mieux.

Sandra Nkaké : Ça, c’est la spécialité du Cameroun. Mais c’est à tous les étages, à la douane…

Yann : Mais tous les pays d’Afrique quasiment non ?

Sandra Nkaké : Mais il me semble qu’il y avait une enquête d’ONUSIDA là-dessus justement sur le fait, de comment on fait pour ne pas subir trop longtemps ces discriminations ?

Yann : Moi, je crois que pour les pays d’Afrique, c’est surtout les gens qui ont le courage de montrer leur visage, d’en parler. Ils sont rares mais il y en a aussi quoi. C’est la seule manière. Nous, on fait un peu cette action, quand on a repris le travail qu’avait fait Madeleine Amarouche. On va dans les lycées et collèges parler de ce que c’est la vie avec le VIH en 2015. Et c’est là qu’on s’aperçoit que la meilleure prévention c’est quand des personnes concernées parlent aux jeunes. D’abord que tu ailles dans le fin fond du 95, 93, il y a toujours un super respect parce qu’ils trouvent ça super courageux de notre part d’aller parler. On a expérimenté plein de trucs pour qu’ils aient un anonymat total, on met un chapeau pour que les filles puissent poser des questions anonymement. On s’aperçoit que c’est là qu’il faudrait aller pour parler de ce que c’est la vie avec le VIH et ne pas penser que c’est une maladie chronique où tu n’as plus que des médicaments à prendre et que t’as vie elle est facile. Parce qu’il y a aussi ce message-là pour eux. Il y a beaucoup de boulot.

Sandra : Cette enquête, à quoi elle va servir maintenant qu’elle est terminée ? Est-ce que vous allez émettre par exemple des recommandations aux institutions publiques pour favoriser par exemple l’emploi des personnes séropositives ou pour que les discriminations diminuent dans le domaine de la santé ou dans la sphère familiale. Avez-vous un pouvoir avec cette enquête ?

Elise Marsicano : Pour moi, produire, analyser les données et les présenter, je dirai c’est la partie de mon travail que je sais faire et que je fais. Je considère qu’en tant chercheur je n’ai pas à faire de recommandation. En revanche, présenter le travail, décrire ce qu’on a pu montrer et de ne pas juste publier dans des revues en anglais que personne ne lit mais essayer de délivrer le message dans des endroits où ça intéresse et permettre aux gens qui sont concernés de s’approprier ce que nous on a publié. C’est ça pour moi mon travail. Je considère que je n’ai pas de recommandation à faire.

Yann : D’accord mais comme c’est des enquêtes qui coutent un bras, super cher, à la fin de ces enquêtes on en fait quoi réellement ? On essaye de changer les choses ? C’est quel groupe de travail qui va travailler après l’enquête ? Moi, c’est ça qui m’intéresse parce que des enquêtes il y en a à tout va.

Christine Hamelin : Nous on a coeur de diffuser l’information. On essaye de le faire vraiment. Je pense que c’est ce qui est entre nos mains. On diffuse l’information surtout auprès d’associations. On pense que c’est les associations qui peuvent prendre en charge ces…

Sandra : Ah ! C’est à nous de travailler c’est ça ? (rires)

Christine Hamelin : Disons prendre en compte en fait. Non, ce n’est pas votre travail mais en tout cas prendre en compte les données qui sortent de ces études qui permettent l’information quand même. Vous avez rappelé l’importance de l’information. On croit que tout ça c’est fini, qu’il n’y a plus de discrimination, qu’on connait tout, etc. , le traitement permet une vie normale ; on voit bien que c’est beaucoup plus compliqué que ça. Donc on essaye de montrer ça. C’est une collaboration quoi. C’est vrai que nous, on s’adresse beaucoup aux associations. C’est par ce biais-là qu’on pense qu’il peut avoir un relais. Un relais de ces données, d’en venir en parler…

Sandra : Aller voir Marisol Touraine, ministre de la Santé en France, ça ne servirait à rien ?

Christine Hamelin : Bah écoutez, on va peut-être pouvoir essayer de le faire (rires). Mais si, on participe aussi à des réunions effectivement. Vous connaissez bien l’ANRS ?

Sandra : Oui, l’Agence nationale de recherche contre le sida et les hépatites.

Christine Hamelin : Voilà. Donc on participe à des réunions en particulier à l’ANRS, au ministère de la Santé pour diffuser ces résultats. Alors après, comme le disait Élise, faire des recommandations, c’est un peu plus compliqué. On peut y réfléchir ensemble avec d’autres partenaires, en particulier avec des gens qui sont sur le terrain. Nous, on est aussi dans la recherche, donc il faut discuter avec les gens qui sont sur le terrain. On ne peut pas pondre des recommandations comme ça. Ça sortirait d’un chapeau, vous voyez ? C’est dans le cadre de ces réunions en fait qu’on peut essayer d’exploiter ces résultats de manière un peu plus concrète. On comprend très bien cette question. Elle est complètement légitime. C’est vrai que ces études coutent de l’argent. Mais elles apportent, quand elles sont bien faites, c’est pour ça que bon, bon ici ce n’est pas le lieu d’en parler mais c’est vrai qu’on fait très attention aussi à la scientificité en fait. C’est ce qui rend légitimes les résultats, ce qui fait qu’on peut aller les présenter dans les groupes de travail, au ministère, etc. , ça on le fait.

Sandra : Merci, avez-vous quelque chose à rajouter dans l’équipe ? Une dernière question à poser avant la rubrique culturelle ?

Jî Drû : Je trouve extrêmement intéressante cette question. C’est-à-dire de savoir à quel moment un enquêteur, un professionnel de l’enquête, se pose la question de que va devenir mon enquête ? Est-ce qu’on a conscience au moment même où on fait l’enquête, que c’est une enquête pour une enquête ou que c’est une enquête qui va avoir une portée sociale ? Et comment elle va avoir cette portée sociale ? Comment elle va être relayée par des associations, par des politiques ? Je trouve ça très intéressant. Pas de savoir ce que devient l’enquête mais de savoir même au moment même où on fait l’enquête comment on se pose cette question et comment on l’intègre. Nous, on est musicien, quand on fait un concert, c’est comme si on se demandait après avoir fait… il y a des musiciens qui le font, qui se demandent après avoir créée leur spectacle, comment on va s’adresser aux gens, comment on va… en dehors du fait d’avoir fait de la musique. Comme si on faisait la musique de notre côté, je parle de la musique qui devient un spectacle, et que tout à coup on se demandait, ah bah ouais mais après c’est à des gens de le vendre le spectacle. Forcément, on intègre dans la préparation de notre musique et de notre spectacle, si tenté que c’est un spectacle, je ne parle pas d’un disque, on intègre le fait que ce soit diffusé à des gens. Donc je me demande, moi, par rapport à ma profession, comment on intègre cette dimension politique de l’enquête ? Qui existe forcément. Souvent dans les débats on voudrait tout séparer. Mais je ne peux pas imaginer que ces deux dames n’aient pas en elle, après je ne sais pas si leur position le permet de le dire, n’aient pas en elle une démarche politique, sinon, elles n’auraient pas choisi ce sujet. Je pense qu’au moment où elles font l’enquête, elles sont responsables, professeur et qu’après elles deviennent citoyennes et actrices, enfin, elles le sont en tant que professeur aussi mais je veux dire, elles imaginent tout à fait qu’il y a des relais possibles. Sinon, elles enquêteraient sur le chou-fleur (rires).

Christine Hamelin : Je voudrai juste ajouter là-dessus, c’est tout à fait juste, vraiment. D’ailleurs aujourd’hui mais dans tous les domaines, pas que dans le VIH, dans la recherche, on est de plus en plus amené à poser ces questions-là, quel que soit le sujet d’ailleurs. Je ne sais pas pour les choux-fleurs mais enfin quel que soit le sujet.

Jî Drû : Pardon aux producteurs (rires).

Christine Hamelin : Oui. Et donc par exemple, dans nos comités scientifiques y compris pour l’étude Vespa, on a des associatifs par exemple. C’est même à l’origine du projet. On travaille de plus en plus avec les gens de terrain, de plus en plus. C’est vrai qu’on s’appuie, nous chercheurs, pas mal sur le milieu associatif qui a déjà beaucoup à faire. Mais ce n’est pas évident de trouver toujours des interlocuteurs et de se comprendre en fait.

Jî Drû : Oui, surtout que j’imagine que vous êtes prises dans d’autres processus. On vous demande aussi des résultats, on vous demande des chiffres…

Christine Hamelin : On nous demande de publier en anglais… bon.

Sandra : J’espère que cette enquête va pouvoir, d’ici quelques mois…

Jî Drû : Forcément. Elle a déjà commencé.

Transcription : Sandra JEAN-PIERRE

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