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29.09.2014

Eric Chapeau : «AIDES et Act-Up doivent fermer»

Début de l’enregistrement

Cyril : Je suis libraire et j’ai 32 ans.

Latifa : Je suis mère célibataire avec trois enfants, je suis commerciale, j’ai 46 ans.

Vincent : Je suis journaliste et j’ai 38 ans.

Sandra : Connaissez-vous des associations de lutte contre le sida ? Si oui, lesquelles ?

Cyril : Euh non, je n’en connais pas spécialement. Il y avait AIDES, mais en fait je n’en ai pas entendu parler depuis longtemps.

Latifa : Le classique quoi, le Sidaction. Moi, j’ai des copains qui ont été touchés par ça, qui ont monté on va dire des micros associations, mais quand on est petit, avec la loi qu’avait fait passer Sarkozy, les petites associations, ils leur ont demandé de se regrouper pour que les subventions aillent. Donc du coup, tout va aux grosses associations et tout va au Sidaction. Pourtant il y a des gens sur le terrain, si vous allez dans le Marais, même ici à Belleville, franchement il y a plein de trucs et on vit tous ensemble, il n’y aucun problème.

Vincent : Je connais Sida Info Service. Après je n’ai plus les noms en tête, mais oui je suis déjà passé devant des bureaux, devant des locaux d’associations comme ça oui.

Sandra : Quel regard avez-vous sur les associations de lutte contre le sida ? Qu’en pensez-vous ?

Cyril : Sur les associations elles-mêmes, je ne connais pas tellement leur travail et après c’est plus la place qu’on accorde à la lutte contre le sida dans les médias, c’est vrai qu’on a tendance à dire aujourd’hui, qu’il y a la trithérapie et qu’on arrive à soigner. Donc peut-être que d’un côté ça relâche un peu le combat qu’il y a. D’un autre côté je crois que le travail sur la prévention est un peu entendu sur la protection et tout ça. Je ne sais pas.

Latifa : Le Sidaction c’est devenu un peu comme les restos du coeur. C’est une machine, une grosse association qui récolte grave des subventions. Je ne dis pas qu’ils ne font rien, mais c’est au détriment après d’association de terrain et eux rament grave quoi. Les gens vont donner une fois au Sidaction et auront bonne conscience, mais ils ne se seront pas posé les bonnes vraies questions alors que les gens qui sont sur le terrain, ils vont parler avec les gens du quartier, ouvrir les esprits.

Vincent : Je ne connais pas l’impact réel de leur travail. Ce que je vois c’est qu’elles sont très présentes, qu’elles communiquent beaucoup, qu’il y a un lobbying assez puissant et qui fonctionne bien. De ce côté-là je trouve que c’est pas mal. Après est-ce que ça arrive jusqu’aux oreilles des politiques, puisque c’est à eux de mettre en oeuvre des politiques de fonds, je ne sais pas. En tout cas je salue leur travail et je trouve que c’est très courageux, très ambitieux ce qu’elles font au quotidien.

Fin de l’enregistrement.

Sandra : Petit micro-trottoir sur les associations. Aujourd’hui nous allons discuter avec Eric Chapeau Aslund et Didier Lestrade qui va appeler tout à l’heure, nous allons remonter le temps. Historique des associations de lutte contre le sida. Une question pour toi Éric, aujourd’hui est-ce que tu milites toujours dans une association de lutte contre le sida ?

Eric Chapeau : J’avais complètement arrêté en 2001 parce que je trouvais qu’un mec de 41-42 ans n’avait plus rien à faire dans les écoles et parler du sida, je voulais laisser la place aux autres. Puis on était épuisé aussi. On a jamais eu de financement, on était très épuisé et puis en 2007 j’ai reçu un coup de téléphone d’un certain Reda Sadki qui m’a dit : “Mon nom ne vous dira rien”. J’ai dit : “Si, vous êtes le fondateur de Survivre au sida”. Je suis retombé dedans à cause du Comité des familles. Et ensuite le bon docteur Prazuck à Orléans m’a dit Éric, est-ce que tu ne voudrais pas rentrer dans le conseil d’administration du réseau ville-hôpital sida et je n’ai pas pu dire non. Mais j’essaye de le faire avec modération parce que j’ai dû passer de 1982 à presque 20 ans à m’occuper du sida et c’est épuisant.

Sandra : En 1982, pourquoi tu t’es lancé dans cette aventure ?

Eric Chapeau : C’était par hasard. En mars 1982, je lisais un “Science et vie” et dans la rubrique de Gérald Messadié, il parlait d’une infection bizarroïde qui touchait les homosexuels californiens avec des cancers de la peau et puis des pneumocystoses pulmonaires et que c’était sûrement dû au poppers et comme quelques années avant j’avais pris beaucoup de poppers, je me suis dit : “Ca y est, je vais mourir”. Et donc j’ai commencé à lire tout ce qui se disait sur cette maladie, qui s’appelait le cancer gay ou la maladie des 4H Homosexuel, Haïtien, Heroïnomane et Hémophile. En 1983 on a fait une greffe qui a duré plusieurs mois et je rentre dans un café qui s’appelle le méridien sur la place de la gare de Tours. Et il y a une prostituée qui s’appelait Véronique qui m’aborde en me disant : “pourriez-vous me prêter votre Libé, ça parle de cette nouvelle maladie. Je suis toxico, je me pique et j’ai bien peur que ça puisse s’attraper comme ça”. J’ai : “Ecoutez, je lis depuis un an tout ce qui se passe sur cette maladie”. Elle a dit : “Ne me passez pas votre Libé, je vais chercher trois copines, on vous offre des bières et vous nous faites un topo là-dessus”. Et j’ai fait ma première conférence sur le sida en 1983 pour 3 ou 4 prostitués dans l’arrière-salle d’un café sur la place de la gare de Tours. Et il y a eu un enchainement, on a voulu s’occuper des prostitués, on a été voir le maire de Tours qui nous a dit : “Il faut aussi aller dans les écoles, il faut s’occuper des malades et tout ça”. On a très vite compris que deux étudiants en médecine ça ne suffisait plus et qu’il fallait faire une association. En 1987 notre première association qui s’appelait Tour Elisa 2000. Un nom très moche, mais parce qu’elle était née à Tours. Elisa parce que c’était le nom d’un test de dépistage commun. 2000 parce qu’on pensait qu’avant l’an 2000 il y avait un certain nombre de problèmes à résoudre et le sida en était un.

Sandra : Vous pensiez qu’en 2000 ce serait terminé ?

Eric Chapeau : Non, on faisait semblant de le penser.

Sandra : Cette association avait quels objectifs ?

Eric Chapeau : Au début dans les premiers statuts si je me souviens bien, c’était la prévention et l’information sur le sida par le dialogue et la communication. Dans la prévention il y a l’accueil des séropositifs, il y a le soutien aux malades, il y avait tout finalement. Donc on a refait des statuts un peu plus élaborés après. Mon association a la particularité d’avoir toutes sortes de gens, aussi bien des boulangers, que des patrons de bars, des professeurs de médecine, des homosexuels, des transsexuels. Toutes sortes de gens. C’était ça qui donnait la force à cette association et on était la deuxième association de France parce qu’on avait entre 250 et 300 adhérents ou familles adhérentes pour une ville comme Tours et même, on débordait. On avait des adhérents à Paris et tout ça. Alors que Aides déclarait dans toute la France à l’époque 2000 adhérents pour toute la France. Avec 250-300, on était visiblement la troisième.

Sandra : Est-ce que pour faire vivre cette association, vous avez fait appel à des fonds privés, appel à Sidaction. Comment arriviez-vous à communiquer avec les autres associations ?

Eric Chapeau : Quand on a fait notre association, on était très mal vu des quelques associations parisiennes qui existaient et qui étaient jalouses. Ils ont dit vous n’êtes pas crédibles si vous n’allez pas vous former chez nous. Donc on a été se former chez eux, on n’a pas appris grand-chose. Puis on a trouvé qu’il n’avait pas la même éthique que nous, qu’ils étaient trop orientés homosexualité, que ça passait avant tout et que nous, on voulait garder aussi bien des homosexuels, d’ailleurs on était logé par le patron du sauna homosexuel qui avait racheté une petite boutique de manucure à côté pour en faire notre local. On ne peut pas dire qu’on était loin des homosexuels. Mais on ne voulait pas faire passer une cause plutôt qu’une autre. On a jamais été financé, on était financé par nos cotisations. Au début c’était 100 francs l’année, après on est passé quelques années après à 200 francs. Ensuite, on a fait les affiches qu’on vendait, on a fait des conférences dans les écoles, beaucoup gratuitement et après on ne pouvait plus, on s’est mis à les faire payer et tout ça nous faisait un fond de roulement. On a eu quelques petits dons de… Line Renaud nous a aidés au début et le Sidaction ne nous a jamais aidé, il a même fait pire, il a essayé de nous torpiller. On n’était pas invité au Sidaction. Mais par hasard il se trouve que ma compagne de l’époque séropositive a fait l’ouverture du Sidaction, le 7 avril 1994. On a eu une bonne notoriété, avec quelques associations on s’est acharné à dire ce qu’on pensait du Sidaction qui nous ne paraissait honnête. Et voilà, le Sidaction qui avait gagné 300 millions de francs au premier Sidaction, les autres Sidaction n’ont rapporté que 10 à 15% du Sidaction initial. Alors que le Téléthon était en croissance, en courbe à peu près régulière. On l’explique parce qu’un gars d’Act-Up avait fait un scandale, mais je crois aussi que c’est le travail de fond de tout un tas d’associations qui ont été voir les journalistes, qui ont été voir les gens, qui ont pris la parole, on a fait des articles, on a quand même eu Le Monde, on a eu France Soir. L’Evenement du jeudi a fait un dossier sur l’argent du Sidaction. Et tout ça a terni la réputation du Sidaction. Libération a encore fait des articles ces dernières années qui étaient encore pires que ce que nous on disait à l’époque. On s’est passé du Sidaction et on a bien vécu avec quelques subventions à un moment public, mais très peu. C’était surtout des conférences dans les écoles, des cotisations. On n’avait pas de grosses dépenses, on n’avait pas de gros salaires, donc ça aide.

Sandra : J’aurai une question à te poser après sur la prévention que vous faisiez dans les écoles. Yann, tu voulais intervenir ?

Yann : Non, pas particulièrement, j’écoute. On a de la chance de recevoir un des éléphants du VIH.

Sandra : La mémoire tu veux dire c’est ça ?

Yann : La mémoire, l’historique.

Sandra : Et Greg, toi, les associations de lutte contre le sida, est-ce que tu as un parcours particulier ? À part le Comité des familles parce que c’est là que je t’ai connu, mais sinon avant ?

Greg : Non, du tout. J’étais très isolé. J’ai connu le Comité des familles grâce à une affiche dans un hôpital, le “Méga couscous”. Comme je me sentais à l’époque très isolé, etc. J’ai vu cette affiche, des gens qui manifestent, qui n’ont pas honte. Je me suis dirigé vers le Comité des familles. Après, j’ai découvert au Comité des familles le projet “Madeleine”, une chose qui m’a réveillé un peu. C’est des interventions dans les écoles pour parler avec les jeunes et les effets du traitement VIH. Parler de la vie d’une personne séropositive et d’expliquer comment avoir des rapports protégés, etc. C’est quelque chose qui m’a vraiment excité, mais depuis que j’ai eu des problèmes, je me suis éloigné un peu, mais je suis de retour et les choses qui étaient très importantes, c’est que le Comité des familles est toujours là.

Sandra : Tu m’offres une très belle transition Greg, puisque justement j’allais parler du projet Madeleine, qui consiste à témoigner de sa vie avec le VIH devant des collégiens et lycéens. Aujourd’hui parler de sexualité, de VIH dans les écoles, c’est encore quelque chose qui n’est pas encore très bien accepté dans l’éducation nationale. Parfois on a des réactions du genre “les élèves sont trop jeunes pour entendre parler de ça” ou ils préfèrent faire intervenir d’autres stuctures qui vont plus expliquer comment on met le préservatif, faire un lexique des MST, etc. Du coup parfois on a des refus. Éric, est-ce que toi quand tu as fait ça à ton époque, comment ça se passait ? Est-ce que c’était des personnes qui témoignaient aussi de leur vie et est-ce qu’il y avait des réactions de rejet ?

Eric Chapeau : Nous, les conférences étaient structurées en plusieurs parties.

Sandra : C’était en quelle année ?

Éric Chapeau : Les premières en 1987 et les dernières en 2001. 14 ans en raison d’entre 40 et 60 conférences par an. En gros, une par semaine dans les entreprises, écoles, les municipalités, universités. Partout où on nous invitait. Ça commençait comme ça : je passais un diaporama de 13 minutes sur le sida qui reprenait les valeurs que ça bousculait, la liberté, les droits des personnes séropositives et leurs devoirs. Je vous le monterai un jour si vous voulez. Il a un peu vieilli, mais toutes les valeurs y sont toujours. Et puis moi j’arrivais. Je commençais habillé en blouse blanche et je disais plein de termes scientifiques. Puis je voyais des gens qui piquaient du nez. Parce que c’est comme ça que moi j’avais eu des formations et des conférences sur le sida. Je m’endormais ! Je parlais comme ça une ou deux minutes et puis je disais aux gens si vous voulez que je vous parle en français moyen ? Je faisais voter les gens et comme tout le monde votait pour français moyen, j’explosais la blouse, je sortais le bleu de travail, le béret et je disais maintenant je vais vous parler en français moyen jusqu’au bout et vous allez comprendre et vous allez peut-être regretter de comprendre. Et donc je racontais l’histoire d’un gars qui rencontrait une fille qui s’appelait Germaine. Et si je faisais pour des homosexuels, je rencontrais Germain. Cette fille que je rencontrais était séropositive et moi je ne le savais pas. Ce jour-là, je n’avais pas mes préservatifs et puis j’attrape le virus. Année après année, il y avait mon cheminement dans la maladie, je devenais tout maigre, puis je perdais mon boulot, la boulangère prenait mon argent du bout des doigts, allait vite se laver les mains parce qu’il y avait une rumeur qui courrait. Puis je mourais au bout d’une heure. Et là, j’avais déjà des gens qui tombaient dans les pommes parfois. La deuxième partie, je commençais par des diapositives qui montraient les maladies que j’ai racontées dans mon histoire. Alors là, je peux vous dire qu’il n’y avait pas un bruit. Il pouvait avoir 2000 personnes dans la salle il n’y avait pas un bruit, pas une personne qui se grattait le nez, ils avaient tous peur de tomber dans les pommes. Puis après je montrais des campagnes publicitaires sur le sida en France et ailleurs et je terminais par un bêtisier sur le sida avec des trucs complètement foireux, des étuis qui avaient été faits par le gouvernement, qui étaient plus petits que la capote, pleins de trucs. Donc les gens rigolaient et là on faisait soit l’entracte et je présentais les invités qui allaient participer pour la deuxième partie, soit on enchainait quand on n’avait pas le droit de faire des entractes parce qu’ils avaient peur que les élèves se sauvent, je ne sais pas pourquoi et donc je présentais les invités. Je venais avec des personnes séropositives ou malades du sida. Et des médecins ou des infirmières qui étaient sur place ou des représentants d’association qui étaient déjà sur place. Je ne voulais pas que ce soit que nous de Tours qui venions porter la bonne parole. Il fallait aussi qu’il y ait des relais sur place. Parfois il y a eu des moments très émouvants, je me rappelle notamment, on est arrivé un jour dans un lycée à Loches, un lycée technique. Il y avait des grands, les gars qui sont en techniques ils faisaient 1m90, “le sida c’est une maladie de PD, on va leur casser la gueule à ces salauds”. Puis alors j’ai fait la conférence. On était enregistré par France culture qui était venue nous accompagner. Le journaliste de France culture qui pète les plombs, qui se met à pleurer qui dit : “excusez-moi, je suis séropositif, je suis même malade du sida. Les gars, j’ai un fils qui à votre âge et je suis devenu homosexuel après, j’ai d’abord été marié, enfin j’étais peut-être homosexuel avant”. Les gros gars qui voulaient casser du PD au début, ils sont tous venus l’embrasser à la fin. Ils sont restés une heure en plus à discuter après la conférence à lui donner du courage. Donc je pense que mes conférences servaient à quelque chose. Au moins pour ça.

Sandra : Yann, tu vas t’inspirer de l’expérience d’Éric ?

Yann : Oh non… m’en inspirer oui peut-être, mais l’égaler ce ne sera jamais possible parce que là on est dans le happening, c’est joué, c’est vécu. C’est sincère. Nous, on voit effectivement comme tu disais avec le projet Madeleine sans avoir les talents d’acteurs et de metteur en scène de notre ami Éric, c’est vrai que le fait de témoigner en tant que séropositif de nos jours, il y a tel respect des jeunes que ça donne qu’une envie, c’est d’y retourner pour faire une prévention qui marche.

Eric Chapeau : Et ça fait du bien à la personne qui témoigne !

Yann : Je confirme.

Eric Chapeau : J’étais au téléphone il y a une dizaine de jours avec une fille qui s’appelle Isabelle. Ça a été ma première patiente à l’hôpital de Tours en 1988. On l’a présenté comme ça : elle s’est fait virer par sa famille, elle a un sida qui flambe, dans 6 mois elle ne sera plus là. Isabelle elle a divorcé deux fois, elle a deux enfants qui vont bien et elle est vivante en 2014. Et elle me dit : “je regrette toujours ces conférences, ça m’a fait tellement de bien au début, j’aimerais bien y retourner”.

Yann : C’est vrai que plus on donne plus on reçoit. Je le dis souvent, mais c’est une réalité.

Sandra : Toi, Éric, tu n’as pas eu de rejets de la part des établissements scolaires avec projet ?

Éric Chapeau : Les plus jeunes que j’ai eus c’était 5ème, 6ème je crois. Ce n’était pas très fréquent. À chaque fois qu’on faisait une conférence, on essayait de faire venir des gens, on avait un press-book avec 500 articles. On envoyait ça aux écoles. Évidemment, il y avait des gens qui racontaient des rumeurs, que j’avais montré mon sexe dans les écoles, des trucs comme ça. Je disais aux gens vous pensez vraiment que je pourrais montrer mon sexe sans être en prison le lendemain devant 600 personnes, 300 ou 200 ? Ce n’est vraiment pas discret ! Il y avait parfois des catholiques qui étaient gênés à qui il fallait expliquer deux fois les choses avant qu’ils nous fassent rentrer dans les écoles. Mais comme c’était une demande des écoles en général, ils avaient réglé leurs problèmes en interne avant de nous faire venir. Ce n’est pas nous qui demandions aux écoles. Au début on a commencé par les solliciter et puis après on s’est dit non, il y avait des articles dans la presse et c’était le bouche-à-oreille.

Yann : Puis il y avait aussi la couverture du fait que tu es médecin, donc je pense que ça rassure aussi les établissements. C’est plus ouvert sur les banlieues dites un peu plus difficiles. Là, j’ai l’impression qu’il y a un travail d’équipe qui fait que l’assistante sociale ou l’infirmière de l’école est plus entendue par son équipe dirigeante. Mais sur Paris, il y a un peu cet effet on ne va pas en parler parce que ça y est, c’est devenu un peu une maladie chronique. Mais on en meurt encore.

Éric Chapeau : On en meurt encore ou ça peut vous gâcher la vie, mais je crois qu’il y a quelque chose qui s’est rajouté c’est la religiosité ambiante qui fait que maintenant, on ne peut plus parler. Nous, on pouvait parler librement. Je vous assure qu’on allait vraiment très loin. Là maintenant, je crois qu’il y a un peu plus de tabous.

Yann : Je suis certain oui.

Sandra : Éric, tu parlais tout à l’heure du Sidaction. Il y a Aides, Act-up, il y a nous, Sida Info Service. Pas mal d’associations de lutte contre le sida quand même. Toi, avec ton expérience, aurais-tu un conseil à donner à toutes ces associations ? Que doivent-elles faire pour lutter contre le VIH/sida et soutenir les personnes vivant avec le VIH ?

Éric Chapeau : Je dirai à Aides et Act-Up, fermez. Fermez. Vos associations ont fait leur temps. Je crois que c’est vrai, je ne suis pas le seul à le dire. Didier Lestrade a écrit un texte il n’y a pas longtemps sur Act-Up. Nous, on s’est arrêté quand on était fatigué, quand on n’en pouvait plus. On avait encore du travail à faire, mais on ne pouvait plus le faire. On était épuisé, on n’avait plus de moyens, il n’y avait pas de renouvellement. Vous, au Comité des familles vous avez de la chance d’avoir fait une transition. L’après Reda, vous êtes là. Il y avait Reda papa. Et maintenant papa est un peu plus loin, il est même très loin, plus tout à fait papa, il est peut-être grand-père et on sent que ça continue à marcher. Il y a un autre esprit, ça change et ça c’est très bien. C’est des associations de troisième génération je dirai qui sont arrivés dans les années 1995 quelque chose comme ça qui doivent prendre le relais. Vous êtes nos petits-fils, nos fils et je pense que les grandes associations qui n’oeuvrent que pour payer leurs salaires maintenant et qui ont beaucoup moins d’activités qu’avant et comme ils ont des charges, il faut racler tous les fonds de subventions, tous les moyens. On voit bien, quand on va à Montparnasse, on se fait agresser par des gens qui ne sont même pas d’association, mais qui ont des t-shirts de Aides, qui n’en ont jamais fait partie. Ce sont des étudiants qui pour gagner leur croute font semblant d’être des militants et de récupérer de l’argent. Faut arrêter. Il faut reconstruire d’autres associations ou aller dans celles qui sont venues après. Je pense qu’Act-Up n’a plus de sens aujourd’hui. C’est sans haine que je dis ça, mais de toute façon ils vont mourir, on le sent.

Sandra : Yann, es-tu d’accord ? Est-ce que Aides et Act-Up doivent fermer ?

Yann : Oh non, je ne serai pas aussi catérogique parce que je me rappelle trop du travail de Aides et d’Act-Up. Davantage Act-Up, je suis plus dans la défense d’Act-Up que de Aides. Après bon, on parlait du Sidaction, c’est vrai qu’il y a une partie de l’argent qui est quand même reversée à la recherche et que nous qui sommes en France, moi qui profite d’un traitement VHC qui coûte un bras, je suis quand même content de pouvoir en profiter. Historiquement je me rappelle d’Act-Up qui avait des actions très fortes. Un petit peu comme le Comité des familles quand il avait été en début de sa création, à la place des innocents gueuler sur le fait que les banlieues n’étaient pas entendues. C’est sûr que mieux que le Comité des familles, je ne vois pas. Ça n’existe pas.

Sandra : Bon, on va dire que tu n’es pas objectif aussi (rires). Et Greg, est-ce que tu penses qu’Act-Up et Aides doivent fermer ?

Greg : Je n’ai pas d’opinion. La seule chose que je peux dire sur ça, tout à l’heure tu me demandais si j’avais eu un contact avec d’autres associations avant le Comité des familles, j’ai oublié, à un moment j’ai eu des problèmes avec l’URSSAF et c’était les gens de Aides qui m’ont aidé juridiquement. À part ça, je n’ai pas beaucoup d’expérience dans cette lutte, comme Éric et Yann. Je n’étais pas militant comme eux.

Yann : Après ce que je vois aussi comme problème avec ces grosses associations, moi je parle en tant que séropositif depuis 1990, c’est le retour. Quand on voit l’enveloppe globale, ce qui revient réellement aux personnes touchées, c’est trois fois rien.

Éric : Pour moi, ces associations sont des associations d’anciens combattants. Ils ont milité, ils ont fait des choses en leur temps, maintenant il faut laisser la place à d’autres qui sont plus structurés différemment avec un coeur plus gros. Je ne dis pas qu’ils n’ont servi à rien, mais je pense qu’il ne faut pas essayer de durer tout le temps juste pour avoir des subventions pour payer les salaires et les locaux.

Yann : Surtout quel salaire !? Quel montant de salaire ! Quand on est dans une action de coeur, de santé, il y a des proportions à ne pas dépasser.

Lucas : Combien sont-ils chez Aides comme salariés ?

Eric Chapeau : Je ne sais plus du tout.

Lucas : Je sais que chez Solidarité Sida, ils sont environs 17 ou 27 pour organiser le Solidays.

Yann : Avec un paquet de bénévoles après.

Lucas : Ah oui ça des bénévoles il y en a énormément. Mais faut dire qu’ils ont de quoi les attirer aussi.

Yann : Oui, mais ça c’est bien que le bénévole ait une petite partie de plaisir dans son action. Pourquoi pas.

Lucas : Ce sont des bénévoles très jeunes.

Yann : Comme le public de Solidays. Moi, je suis ravi d’être à Solidays depuis 3-4 ans avec le Comité des familles. D’abord j’aime la fête, la musique et j’aime cet effet de prévention qui touche une tranche d’âge entre 15 et 25 ans.

Eric Chapeau : Je crois que Solidays a tout à fait sa place encore. D’abord, 27 personnes pour organiser des concerts et des machins, ça me semble normal. Pour en avoir organisé une fois un concert au parc de Sceaux, je sais ce que c’est et qu’il faut des tas de gens. Je trouve que Solidays fait quelque chose avec de la musique, des artistes. Il faut réconcilier les maladies avec l’esprit et la rébellion artistique.

Sandra : Didier Lestrade n’appelle pas, je ne sais pas ce qui se passe. J’espère que ce n’est pas un problème technique de notre faute. Éric, nous allons terminer la discussion. Tu as dit ton avis sur les associations. Maintenant, concernant les politiques, aurais-tu un message à leur adresser concernant la lutte contre le sida ? Que doivent-ils faire ces politiques ?

Eric Chapeau : Je crois que je n’ai pas de message à dire aux politiques parce que je n’y crois pas du tout.

Sandra : Tu n’as pas du tout confiance ?

Éric Chapeau : Non, pour les connaitre et à chaque fois qu’un ministre de la santé annonce que sa priorité c’est la prévention, en général ils baissent les budgets de 10 à 20%. C’est ce que j’ai appris. J’ai côtoyé tous les ministres de la Santé, la dernière également, mais je n’ai aucune confiance. Même s’ils veulent faire quelque chose, je ne sais pas ce qu’ils arrivent à faire. Tout est tellement sclérosé dans cet état. J’ai l’impression que c’est en train de s’effondrer. Je ne sais pas si ce sont les associations historiques de lutte contre le sida ou l’État français qui s’effondrera avant, mais ils en sont à peu près au même point. Didier Lestrade n’est pas loin d’avoir la même opinion que moi. Et je voulais souligner le merveilleux travail de Didier Lestrade qui a fondé Act-Up. Moi j’ai connu Act-Up, je suis allé au congrès en 1989, c’était la conférence internationale sur le sida ou le congrès mondial, je ne sais plus comment ça s’appelait, à Montréal. Et puis les gens s’installent, c’était la séance plénière, je crois qu’il y avait le président de la Zambie et tout ça. J’étais au fond, je n’étais pas rentré dans la salle et puis je vois arriver des sortes de dragqueens, presque 2m de talons, des mini-jupes, une faune colorée que je n’avais jamais vu et puis qui commençait à descendre en scandant des trucs. J’étais pris dans le mouvement, j’ai suivi jusqu’à la scène et c’était Act-Up. C’était en même temps violent et festif et moi j’ai bien aimé.

Je voudrais terminer sur, les messages un peu costauds, regarder Jésus-Christ qui est un exemple pour beaucoup, je ne dis pas pour tous, mais il a pété les marchands du temple, il a arraché leur stand, il a tout foutu en l’air parce qu’il a dit ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. Jésus-Christ c’était l’Act-Up de l’époque (rires). Tout le monde peut faire du Act-Up, c’est recommandé, mais il faut défendre des convictions avec énergie, avec arts, humour et puis quand on sent qu’on ne sert plus à rien, faut savoir faire autre chose.

Sandra : Vos réactions sur le site comitedesfamilles.net. Pensez-vous comme Éric que Aides et Act-up doivent fermer ? Que pensez-vous du Sidaction ? Pensez-vous qu’ils ont encore leur place dans la lutte ? Réagissez sur le site comitedesfamilles.net.

Transcription : Sandra Jean-Pierre

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