Sandra : Dans quelques instants, Ben de Valenciennes va appeler d’ici 2 minutes je pense, s’il est ponctuel. En attendant, je vais demander à Eve Plenel de présenter l’association ARCAT. Qu’est-ce que c’est ?
Eve Plenel : ARCAT c’est une ancienne association de lutte contre le VIH qui a été fondée en 1985 à Paris. Elle fait partie des toutes premières associations de soutien aux personnes vivant avec le VIH qui se caractérisent par un dispositif d’accueil et de soutien qui existe depuis 20 ans maintenant, des personnes malades en grande précarité, en grande exclusion. Donc c’est un dispositif avec des travailleurs sociaux, une juriste, une équipe avec des médecins, des psychologues, des chargés d’insertion et 11 places d’hébergement. 11 places ce n’est pas beaucoup mais c’est déjà pas mal pour mettre des gens à l’abri. Par ailleurs ARCAT c’est aussi une association militante pour le droit des personnes vivant avec le VIH, pour la démocratie sanitaire et une association qui fait de la prévention auprès des migrants d’origine latino-américaine et auprès des migrants chinois.
Sandra : Et je sais que vous avez aussi une expérience avec le COMEDE puisqu’avant vous travailliez au COMEDE.
Eve Plenel : Avant de rejoindre le groupe SOS pour diriger ARACT, effectivement, j’ai travaillé au COMEDE, le Comité médical pour les exilés qui est l’une des associations de référence sur l’accès aux soins et à la santé des personnes migrantes en France.
Sandra : Nino, est-ce que tu connaissais ARCAT et le COMEDE ? Est-ce que ça te parle ?
Nino : Non.
Sandra : Je suis étonnée, au Comité des familles, on est en lien avec eux. Faut venir plus souvent (rires).
Eve Plenel : En même temps, c’est plutôt bon signe si dans la vie de Nino il n’a pas eu besoin de passer par chez nous.
Sandra : Oui bien sûr. Ben va appeler dans quelques instants. Eva, je vais te donner la parole puisque c’est toi qui a voulu qu’on parle de ce sujet à l’émission de radio. Toi tu trouves, qu’il y a un manque de dispositif d’aide pour les familles vivant avec le VIH récemment arrivées en France. Pourquoi ?
Eva : En fait ce qu’on a constaté dans nos accueils avec l’équipe qui fait les accueils au Comité des familles, c’est que dans un certain nombre de situations, on n’arrive pas à trouver des pistes, de solutions pour des personnes séropositives. Il s’agit majoritairement de personnes qui ne sont pas seules. Majoritairement des mamans qui sont avec des enfants en bas âge et personne ne veut d’elle alors qu’elles sont vraiment, quasiment à la rue. On a cherché un peu partout qui pourrait nous aider là-dessus, qui pourrait les prendre en charge, donner des pistes. On est toujours sans réponse et effectivement également à ARCAT, on a nous expliqué que c’est des situations où il n’y a pas de dispositif existant. Et voilà. On chercher toujours et je pense que c’est utile d’en parler avec nos partenaires pour voir ce qu’on peut faire. Parce que trop souvent, on reste sur l’idée que le VIH on vit avec, on se soigne mais il y a énormément de problèmes qui existent et tout n’est pas réglé loin de là.
Sandra : Et toi Nino, qu’est-ce que tu en penses ? Es-tu de l’avis d’Eva ?
Nino : Je suis d’accord avec Eva, qu’il y a un manque de structure pour accueillir ces familles. Je veux dire aussi à ces familles qui ne veulent rester qu’à Paris, il y a des places parfois dans des provinces et que ces familles et ces personnes-là veulent rester qu’à Paris en sachant qu’en Ile-de-France, c’est hyper blindé, il y a beaucoup de gens. Il y a des gens qui sont sur liste d’attente depuis des années et quand on leur propose d’aller en province, ils refusent catégoriquement et parfois ils se retrouvent dans des difficultés.
Sandra : Eve Plenel, êtes-vous d’accord ?
Eve Plenel : En fait, je pense que le point important que vous avez souligné, c’est l’idée que ce sont des personnes récemment arrivées en France. En fait, on ne peut pas dire en général que pour toutes les personnes vivant avec le VIH, il y a un manque de dispositif d’aide, je dirai même plutôt que par contraste avec d’autres pathologies chroniques sévères, il y a plutôt beaucoup de choses en France qui ont pu être développés depuis plus de 25 ans alors ce n’est jamais suffisant bien sûr par rapport à d’autres personnes migrantes en précarité qui auraient, je ne sais pas, un diabète très sévère ou un cancer. En fait, dans le champ du VIH, il y a des dispositifs et des associations qui n’existent pas pour d’autres pathologies. Mais effectivement la difficulté, ce que vous disiez Eva, pour les familles récemment arrivées en France, qui n’ont pas encore ouvert leurs droits au séjour, la difficulté est pendant cette période-là, où des mamans sans papier, avec des enfants, pour lesquelles effectivement les dispositifs d’hébergement ne sont normalement pas indiqués sauf l’hôtellerie sociale et le 115. On se retrouve totalement démuni pour les accompagner. C’est cette période qui peut durer plus longtemps en fonction des préfectures qui est particulièrement difficile et compliqué. Effectivement, Nino a raison de souligner que c’est aussi un problème assez spécifique en Ile-de-France ou à la région Rhône-Alpe, éventuellement PACA, qu’on ne retrouve pas partout sur le territoire national. Il y a des endroits, notamment l’Ile-de-France où toute l’offre d’hébergement d’urgence est totalement saturée pour toutes les grandes personnes en précarité avec des dizaines, des centaines de gens qui dorment à la rue toutes les nuits et donc c’est particulièrement difficile pour tout le monde et notamment pour ces familles-là.
Nous, pour répondre à cette question-là, on fait le même constat pour les familles récemment arrivées à Paris. On a demandé à Solidarité Sida de nous soutenir pour la création de trois places d’hébergement famille l’année prochaine. Donc on espère que Solidarité Sida qui reverse l’argent du festival Solidays va nous soutenir pour permettre l’ouverture de ces trois places à Paris.
Sandra : Allô bonjour Ben !
Ben : Oui, bonjour Sandra !
Sandra : Bienvenu à l’émission de radio Vivre avec le VIH. Tu appelles de Valenciennes c’est ça ?
Ben : Oui.
Sandra : Tu es le correspondant du Comité des familles de Valenciennes. Avec nous autour de la table il y a Eva, Eve Plenel et Nino.
Ben : Bonjour Nino, bonjour Eva. J’espère que vous allez bien, que vous n’êtes pas trop humidifié par la pluie.
Sandra : Non, ça va à Paris il ne pleut pas aujourd’hui.
Ben : Moi qui reviens du Maroc, c’est un peu très bizarre le temps ici.
Sandra : C’est la France quoi.
Ben : Effectivement, je constate aussi depuis que je suis rentrée en France, qu’il y a eu beaucoup de changements dans le regard des gens par rapport aux personnes issues de l’immigration. Et nous qui oeuvrons dans le bien-être, dans le désir que tout le monde ait accès aux traitements, accès aux soins, qui n’y ait pas de frontière. On se rend compte qu’on est en train de régresser en France et que les grandes promesses qui ont été faites aussi bien par la droite et la gauche, n’ont jamais été bien respectées. C’est désolant de voir ça dans un pays qui était le premier à revendiquer le droit à l’accès aux soins pour tous. On sent une régression. Lorsqu’on m’avait dit au Maroc, je le constate ici en France, c’est très difficile aujourd’hui.
Sandra : Là, la discussion comme tu le sais, c’est sur le manque de dispositif d’aide pour les familles vivant avec le VIH récemment arrivées en France. Est-ce qu’autour de toi tu as des exemples de gens qui rencontrent des difficultés pour se loger, pour trouver un travail par exemple ?
Ben : Oui, on rencontre ce genre de personnes qui ont du mal à trouver du travail, qui subissent aussi le regard de certains intervenants institutionnels. Dernièrement, on a encore écouté quelqu’un qui disait : “Mais quand même, on leur donne de quoi dormir, de quoi manger, ça suffit”. Non, ça ne suffit pas ça. La personne a envie de vivre comme tout le monde. Elle a un droit et des devoirs. Elle les respecte. Pourquoi tant de freins ? Pourquoi la peur de l’étranger surgit-elle ? Est-ce que c’est la crise ? Est-ce le monde qui a bougé trop vite ? Je ne sais pas, je ne trouve pas de réponse. Mais moi, ce que je constate, c’est que dans la pratique de certains intervenants qui se disent professionnels de l’humanitaire, ils régressent parce qu’ils ne tiennent pas compte des difficultés. Quelqu’un qui arrive comme ça en France, qui a traversé le désert, qui traversé la méditerranée, qui arrive à la porte de sa famille et qui ne trouve pas de quoi être hébergé, qui ne peut pas parler aussi de la maladie, qui s’enferme et qui se repli sur lui-même, alors qu’il tente son aventure pour pouvoir vivre, accéder au traitement, accéder à un travail à la dignité, que se passe-t-il dans le monde aujourd’hui ?
Sandra : Comme tu dois partir dans pas longtemps, je vais laisser Nino, Eva et Eve Plenel réagir à tes propos.
Eva : Oui, je suis d’accord avec Ben. L’actualité accentue les différences, fait que certaines personnes ont plus de mal avec leur identité, d’être accepté alors que je pense qu’il y a quelques années. La discrimination a toujours existé mais je pense que ça s’accentue avec l’actualité, les débats.
Eve Plenel : C’est très clair qu’au cours de ces dernières années avec notamment un personnel politique qui a rendu le débat hystérique sur les questions d’immigration, les choses se sont aggravées. Il y a quelque chose de très juste dans ce qu’a dit Ben tout à l’heure, c’est le fait qu’y compris chez ceux qui pensent être dans l’aide aux migrants, dans le soutien aux personnes en précarité, ces idées ont fini par se diffuser. Aujourd’hui, quand je suis au contact des médecins, des professionnels de santé, des gens qui travaillent dans les Agences régionales de santé, ces personnes, pensant bien faire, diffusent elles-mêmes des représentations négatives sur les migrants ou des représentations qui sont un peu venues de haut en bas, méprisante, par exemple il y a des médecins de santé publique qui disent, pour sauver le dispositif du droit au séjour pour les étrangers malades, il faut être encore plus exigeants et encore plus rigoureux. Ca parait absurde comme raisonnement mais on se dit pour sauver quelque chose de bien il faut être encore plus suspicieux et puis encore plus dans le contrôle. Tout à l’heure vous passiez l’annonce sur Mos maiorum, cette opération qui a lieu en ce moment, qui a commencé hier donc de contrôle renforcé dans les gares, dans les frontières, c’est une opération qui est visible à Paris, je ne sais pas si vous avez vu, dans toutes les stations de métro, il y a actuellement des agents RATP avec des agents de la sureté et des policiers. C’est partout, c’est très massif. J’en profite pour relayer l’appel, dites vraiment aux gens dont vous savez qu’ils sont susceptibles de ne pas avoir de titre de transport et de ne pas avoir de titre de séjour, de ne pas prendre les transports en commun en ce moment à Paris. Donc tout ça diffusent, alimentent cette représentation, mais même ceux qui veulent bien faire finissent par dire on ne peut pas accueillir tout le monde, c’est la fameuse phrase, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde etc. . C’est très présent et même dans nos associations, nos dispositifs ou dans les dispositifs d’aides, c’est un travail du quotidien de ne pas laisser ces préjugés passer la porte.
Eva : Je suis tout à fait d’accord. J’ai comme une impression que chacun doit se positionner, pour ou contre. Il y en a beaucoup qui bascule du côté contre l’immigration. On clive un peu les choses et on ne laisse plus réfléchir et on installe la peur. J’en reviens à ce que disait Nino, par rapport au fait que les personnes peuvent aussi trouver des solutions hors Ile-de-France. Moi, souvent ce que j’entends des personnes c’est que oui, ils veulent rester en Ile-de-France parce que la discrimination est encore plus forte dans les provinces. Parfois il y a moins d’étrangers, il n’y a plus de communauté non plus pour se retrouver quand même entre personnes, enfin, avec qui on a des liens et partager la même culture. Donc il y a ce problème. Je pense que ce qu’il se passe actuellement ça va accentuer le fait que les gens vont avoir peur de quitter l’Ile-de-France ou quand même il y a, on est plus habitué aux personnes d’origine étrangère physiquement, où on reconnait physiquement des origines et du coup, je pense que ça fait encore plus peur de quitter l’Ile-de-France.
Ben : La grande ville a toujours été un moyen de se noyer dans la foule et de passer inaperçu le mieux qu’on peut. Mais j’aimerai revenir sur quelque chose. Aujourd’hui on a quand même voté des textes législatifs qui nous donnent certains droits et certains devoirs. Je précise devoir parce que l’un ne va pas sans l’autre. Faisons-les respecter, faisons-les respecter coute que coute. Ne lâchons rien sur ça. Il y a une autre chose, je pense qu’à un moment donné, il va falloir que les associations se mettent tous autour d’une table, décident d’un fil commun sur une stratégie et à travailler sur un plaidoyer solide pour qu’on puisse enfin, comment dire ça ? Je ne trouve même plus les mots pour le dire, mais qu’on trouve une réponse. À savoir qu’il y a tellement de multitudes d’identités, je sais que ça ne va pas être évident, ce n’est pas évident. Mais je pense que tous les matins, moi je me lève, je réussis à traverser la difficulté parce que je suis toujours dans la résistance. La liberté c’est la résistance.
Sandra : Est-ce que cela, ça n’a pas déjà été fait que les associations se mettent, comme dit Ben, autour d’une table ?
Eve Plenel : Oui, bien sûr, il y a toujours eu de l’interassociatif, des collectifs, du plaidoyer, des associations de malades, des associations de patients qui ont porté leur voix et même je dirai dans le domaine du VIH, plus qu’ailleurs. Il y a beaucoup de victoires qui ont été obtenues pour l’ensemble des personnes malades depuis longtemps et qui l’ont été, je vais mettre des guillemets, grâce à la mobilisation des personnes vivant avec le VIH. C’est clair que ça a existé. Après la question aujourd’hui dans ce que dit Ben, c’est qu’il y a un peu un morcellement des sujets de plaidoyer, des sujets de lobby. Il y a des collectifs très pointus sur la question du droit au séjour et des problématiques de l’accès aux soins. Mais très vite, c’est des questions très techniques. Donc le collectif va être composé de juristes, de gens qui sont capables d’aller voir les députés pour rajouter un amendement à la loi, vérifier qu’il n’y a pas une petite saleté qui s’est glissée dans tel texte au Parlement, etc. . Ça va être très technique. Et donc peu accessible, par exemple, pour des collectifs de personnes concernées qui vont très vite se sentir mises sur la touche. Et pour moi c’est ça aujourd’hui la difficulté, c’est comment de ces différentes arènes militantes, on arrive à dépasser ça et à avoir un discours commun. C’est ça qui est difficile parce que c’est aussi la complexification de la prise en charge ou des lois sur l’immigration, ou des lois de santé publique, qui font qu’aujourd’hui les débats sont très morcelés. Ou par exemple sur la question de l’hébergement, comme on est dans des situations très différentes d’une région à l’autre et donc d’une préfecture à l’autre, là aussi ça va être des mobilisations microlocales et pas forcément un discours national sur quelle offre d’hébergement veut pour les personnes malades en précarité ou pour les précaires en général.
Eva : C’est effectivement ça, une des difficultés qu’on rencontre au Comité des familles, c’est que dans le 93 c’est de cette manière, dans le 75 c’est comme ça, dans le 95 encore autrement et à tout moment ça peut changer. Pour pouvoir conseiller, orienter, aider les personnes correctement c’est hyper compliqué. Effectivement aussi pour faire bouger les choses, il faut le faire localement, auprès des différentes préfectures, auprès des différents dispositifs existants, et aussi on arrive, il n’y a pas vraiment de spécialiste sur la question de manière générale, à chaque fois c’est plutôt des personnes du 75, nous c’est les familles du 93, enfin, le travail est vraiment dur pour, ça rend le travail très difficile.
Sandra : Ben, je sais que tu dois bien bientôt partir donc je vais te laisser réagir une dernière fois.
Ben : Je me sens parfaitement en accord avec ce que vous dites. Moi aujourd’hui, ce que j’attends de mes luttes de demain, c’est de pouvoir continuer à me battre. Je sais qu’il ne me reste plus beaucoup de temps et le calendrier à rebours…
Sandra : Ça, personne ne le sait.
Ben : Je sais que personne ne le sait, parce que j’ai eu un travail sur moi-même. Vous savez, la maladie ne voit pas. Elle se ressent énormément. Parfois on peut être à côté de personnes. Ils vont souffrir de troubles du côté psychologique, trouble du comportement ou ils mélangent tout. C’est souvent lié au virus. La dernière fois, tu as fait l’émission sur le cerveau. La personne qui faisait l’étude, elle disait qu’il n’y avait jamais eu d’étude. Je me rappelle qu’on parlait du vieillissement à une certaine époque prématurée…
Sandra : Alors là, c’est un autre sujet Ben. Si tu veux tu peux réagir sur le site, tu peux laisser ton commentaire. On va ne pas dévier parce qu’on n’a pas beaucoup de temps.
Ben : J’aimerai remercier énormément la personne du COMEDE, parce que le COMEDE je n’ai jamais le temps de m’arrêter chez vous parce que, vous savez comme militant, on court tout le monde, mais j’apprécierai de vous rencontrer de vive voix.
Eve Plenel : Voilà. Je n’y travaille plus mais je transmettrai vos amitiés à l’équipe.
Ben : D’accord, mais je sens une âme humaine chez vous.
Sandra : Waouh, que dire !?
Eve Plenel : Je rougis derrière le micro.
Ben : Non, ne rougissez pas.
Sandra : Aller Ben, merci pour ta participation.
Ben : Prenez soin de vous.
Sandra : De même, toi aussi. Garde la pêche et à très bientôt Ben.
Ben : Merci. Au revoir
Sandra : Continuons la discussion. Nino, je vais t’interpeller puisque tu m’as dit que tu souhaitais participer à cette émission puisque tu connais deux personnes, deux femmes qui vivent en ce moment une situation difficile. Est-ce que tu peux nous en parler s’il te plait ?
Nino : Oui. Certes, il y a la discrimination mais nous les migrants porteurs du VIH, nous devons nous imposer aussi. Je t’ai parlé hier de situations hier, d’une dame que je connais qui sont dans une situation de merde un peu. Mais c’est à nous aussi. Déjà, sans offenser quelqu’un, parfois des gens concernés par le VIH arrivent sur le territoire français, d’autres dès qu’ils perçoivent un peu ce qu’on appelle l’AAH, l’allocation adulte handicapée et après ils restent tranquilles là, ils n’ont pas envie de travailler. C’est à nous de s’imposer, il faut travailler, il faut se faire accepter par le public. Certes, il y a la discrimination mais moi je la vois de moins en moins. Et par rapport à la situation de deux dames dont je t’ai parlé hier Sandra, c’est une que je connais qui depuis 3 ans, qui est sur le territoire français, elle n’a pas l’aide médicale d’Etat, son dossier a été rejeté, même à la préfecture de Paris pour sa carte de séjour. Et dernièrement elle a reçu un papier lui demandant de quitter le territoire. Je ne sais pas la raison de la préfecture. C’est un peu difficile pour elle.
Sandra : Vous disiez tout à l’heure, que les gens disent : “on ne peut pas accueillir tout le monde”. Mais alors, est-ce que ce n’est pas vrai cette phrase ?
Eve Plenel : En général ou pour les personnes malades ?
Sandra : Oui, pour les personnes malades. Est-ce que la France peut accueillir toutes les personnes malades ? Difficile comme question mais est-ce qu’il n’y a pas une part de vérité là-dedans ?
Eve Plenel : Moi, je ne me lancerai pas dans le débat géopolitique. Ce qu’on peut dire, c’est que toutes les études sur l’immigration au niveau mondial, sur les migrations plutôt au niveau mondial, montrent qu’il y a beaucoup plus d’immigration sud-sud que d’immigration sud-nord déjà en volume. Et que la proportion de personnes qui arrivent en Europe notamment est extrêmement faible par rapport à ceux qui restent. Donc ce n’est pas n’importe quelle personne qui migre en fait. Ce n’est pas tous les gens malades parce que tout d’un coup ils sont malades migrent. C’est beaucoup plus compliqué que cela. Mais je n’irai pas plus loin parce que c’est des débats un peu techniques mais ça donne déjà quelques éléments. En France, normalement, toutes personnes vivant avec le VIH provenant d’un pays où l’accès aux soins n’est pas garanti à un droit au séjour. Ça a été rappelé par le ministère de la Santé dans une instruction l’an dernier. Donc le droit au séjour pour les personnes vivant avec le VIH ou les hépatites virales issues de pays où l’accès aux soins n’est pas garanti, il avait été mis à mal par la loi Besson, il a été mis à mal par les parlementaires mais normalement aujourd’hui, en tout cas pour ces pathologies-là, il est à peu près garanti, rétablit. La difficulté c’est que le pouvoir revient aux médecins des agences régionales de santé ou aux médecins-chefs à Paris. Et que ces médecins sont souverains et que selon la qualité du rapport médical qui leur est transmis ou selon l’attention qu’ils vont porter aux dossiers, ils peuvent encore aujourd’hui émettre un avis négatif. Si le médecin dit, elle peut avoir accès aux soins dans son pays, ou cette personne sa pathologie n’engage pas le pronostic vital, si le médecin émet un avis négatif, le préfet va émettre évidemment un avis négatif. Mais pour cette question-là, c’est vraiment le médecin de l’Agence régionale de santé qui a le pouvoir décisionnaire. Et donc si je peux passer un message aux personnes qui nous écoutent, il y a un gros enjeu dans la qualité du rapport médical que votre médecin, votre infectiologue à l’hôpital ou en ville va rédiger. Et si vous n’êtes pas sûr que votre médecin habituel, il a l’habitude de faire ça, demander conseil ailleurs. C’est très important parce que votre accès à la carte de séjour, va dépendre de la qualité de ce rapport médical confidentiel. Le préfet n’est pas censé avoir d’information. La préfecture ne doit rien savoir de votre état de santé. C’est bien ce rapport médical qui est envoyé, de manière confidentielle, d’un médecin à un autre médecin, qui va déterminer votre droit au séjour en France.
Eva : Un des souci qu’on voit, c’est maintenant pratiqué dans toutes les préfectures, c’est qu’une personne malade, avant de pouvoir déposer son dossier, demande le titre de séjour pour soins, doit attendre un an, donc vivre un an sur le territoire, prouver qu’elle vit un an sur le territoire avant de déposer son dossier. Certes que dans cette période, a priori elle a une attestation, un certificat médical qui fait que si elle est arrêtée sans papier, elle peut le présenter, elle ne sera pas renvoyée au pays. Mais c’est une situation extrêmement précaire, elle a le droit à rien, si elle n’a pas de ressource, elle n’a vraiment droit à rien. C’est vraiment même difficile de trouver. Il y a des dispositifs d’aide qui ne prennent pas les personnes qui n’ont pas de papier. Parfois même pour l’alimentation, les titres de transport, pour toutes sortes de choses, il y a un frein. Cette année est extrêmement difficile. Souvent c’est bien sûr encore prolongé parce qu’une fois que le dossier est déposé, ça peut durer, il peut avoir des refus. Et puis donc c’est précisément de ces personnes-là, surtout quand il s’agit de mamans avec des enfants en bas âge, il n’y a absolument rien à leur proposer quand elles se retrouvent à la rue sans rien à manger, sans titre de transport, on se retrouve vraiment à leur dire on ne peut rien faire. Essayer le 115 quoi. Ce que j’ai aussi constaté, c’est qu’au-delà les personnes, ces mêmes personnes, une fois qu’elles ont un titre de séjour, ça reste difficile. Tant qu’une personne a des enfants à charge, surtout quand elles les élèvent seules, la peur de prendre en charge ces personnes, de leur proposer un hébergement, existe parce qu’il y a ce doute sur est-ce qu’elles vont rapidement devenir autonome, avoir leur propre ressource. Et on ne leur donne pas vraiment leurs chances.
Sandra : Maintenant qu’on a fait ce constat, on a dit qu’il y a un manque de dispositif d’aide pour les familles vivant avec le VIH récemment arrivées en France. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Est-ce qu’on peut réfléchir, comme disait Ben, on se met autour d’une table et puis on travaille ensemble. Est-ce que ce ne serait pas le moment de prendre des décisions, de se dire, de lancer un appel et de se dire, ok on constate ça, mais il faut agir quoi.
Eve Plenel : Effectivement, le point que soulève Eva, il y a quelque chose de nouveau qui est lié à l’amélioration des traitements et de la prise en charge. Il y a 5-10 ans, on n’aurait jamais parlé de mamans célibataires avec des enfants en bas âge. Les personnes qu’on voyait arriver étaient des personnes adultes isolées seules qui ne se projetaient absolument pas dans la parentalité parce qu’elles étaient uniquement dans une problématique de survie. C’est une bonne nouvelle que les personnes vivant avec le VIH aient des enfants, se portent bien et puissent envisager une progéniture et l’avenir. C’est plutôt une bonne nouvelle. Effectivement, on se retrouve face à des situations face à sur lesquelles ont est démuni. Oui, il faut qu’entre associations, là on parle peut-être d’une problématique qui est par ailleurs assez parisienne, qu’on trouve de façon aigüe en Ile-de-France. Je pense qu’il y aurait intérêt à ce que des associations comme le Comité des familles, Solidarité enfant sida, Dessine-moi un mouton ou ARCAT, travaillent ensemble à des dispositifs spécifiques pour femmes isolées avec enfants. Ça, ce serait une réponse opérationnelle. Moi, je ne fais pas de la politique, je fais de l’opérationnelle. Quand il y a un problème, il faut qu’on essaye d’inventer des solutions concrètes. Donc après bien sûr il faut aussi faire du plaidoyer pour l’accès au séjour, il faut faire du plaidoyer pour l’accès au séjour, il faut faire du plaidoyer pour l’accès aux soins. Mais ça, ça se passe à un autre niveau. Concrètement là, si on avait ce que serait-ce les moyens d’ouvrir une petite dizaine d’appartements avec plusieurs chambres en collectif dans laquelle on pourrait loger ces personnes, le temps de stabiliser la situation de séjour, la scolarisation des enfants, la place en crèche et donc derrière la possibilité de travailler pour les dames, déjà on répondrait aux besoins. Parce que je pense que ces situations dont on parle, à la fois elles sont très aiguës et très compliquées pour nous. Mais en même temps on ne parle pas de 500 familles. On parle d’un nombre de personnes, avec un peu d’imagination, avec un peu de créativité on pourrait répondre je pense aux besoins.
Sandra : Eva, penses-tu que le Comité des familles pourrait se lancer dans une sorte de plaidoyer ou comment on pourrait travailler avec les autres associations sur ce sujet ?
Eva : Je rejoins là-dessus le point de vue d’Eve, ce qui compte c’est d’être dans l’opérationnel, de travailler, de voir ce qui est possible, se réunir avec d’autres associations, parce que si chacun fait son travail, seul de son côté, essaye comme une petite fourmi d’avancer, c’est vraiment presque désespérant mais à plusieurs, avec des associations qui sont déjà plus spécialisées aussi dans la gestion d’appartement, on serait vraiment ravis de faire ce travail ensemble et c’est vrai que c’est un peu dans ce but-là que depuis un certain temps, on se mobilise, on cherche à rencontrer les associations ARCAT, Dessine-moi un mouton, aussi Ikambere même s’ils sont dans le 93, mais voilà pour ne pas trop rester dans le cloisonnement non plus. Si ça peut aboutir, on serait vraiment ravi de faire ce travail ensemble.
Sandra : Et peut-être avec d’autres associations mais pas forcément VIH mais qui touchent aussi à la santé ? Je dis ça comme ça, je ne me rends pas compte.
Eva : Je pense que depuis un certain temps, les appartements thérapeutiques ne sont plus exclusivement réservés aux personnes VIH ? Il me semble que les ACT s’ouvrent à des pathologies graves qui peuvent rassembler ou effectivement il n’y a plus effectivement que des personnes VIH prises en charge il me semble.
Eve Plenel : Absolument. De manière générale, beaucoup de dispositifs créés dans le début des années Sida, se sont élargies à la question du handicap, à la question de la maladie chronique. Mais je pense que pour les situations dont on parle ici, il y a quand même une spécificité des pathologies infectieuses du VIH et des hépatites, qu’on ne retrouve pas dans d’autres pathologies. D’abord en faisant du silence et du tabou pour les parents vis-à-vis de leurs enfants. Toute maladie est difficile à vivre en famille mais là il y a quelque chose de particulièrement lourd qui pèse au sein de ces familles. D’autre part parce qu’on sait que les personnes qui vivent avec le VIH qui sont bien prises en charge, vont pouvoir si on les soutient bien, avoir accès au séjour, avoir accès à un travail. Aussi des situations sur lesquels il y a une action possible. Peut-être plus que dans d’autres situations, pathologies. Je pense qu’il y aurait matière quand même à inventer quelque chose qui au niveau expérimental concerne d’abord le VIH et les hépatites.
Eva : Une chose qui me semble aussi importante, c’est comme vous disiez des personnes qui sont bien prises en charge aussi sur le point médical. Oui, on sait aujourd’hui qu’une personne séropositive avec un bon traitement, on peut vivre longtemps, travailler, être en bonne santé et là aussi, je me retrouve souvent devant paradoxe, c’est que les ACT sont réservés aux personnes ayant des grands soucis de santé. Donc celles qui ne les ont pas, même si elles sont, on va dire, dans la merde, sans logement avec des enfants, elles ne savent pas ou demain les inscrire à l’école ou demain leur faire à manger. C’est des situations catastrophiques. Quelque part, je le dis franchement, ce qu’elles m’ont dit à plusieurs reprises, c’est je pense que le mieux c’est d’arrêter mon traitement comme ça ma charge virale va monter, mes CD4 vont baisser et enfin on va considérer que ma pathologie vaut la peine d’être pris en charge. C’est bien sûr une très mauvaise idée, je n’incite pas à le faire. Mais c’est des stratégies de survie qu’on rencontre et je pense que là-dessus, faut faire attention. Le VIH est une maladie chronique, est une maladie lourde même si les CD4 sont bien et la charge virale indétectable, on est quand même confronté à des grosses difficultés de santé et aussi psychologique. Très large.
Eve Plenel : Complètement. L’enjeu aujourd’hui il est de continuer à faire entendre aux pouvoirs publics qu’il y a besoin de mise à l’abri spécifiquement pour ces personnes même quand sur le plan de la santé, elles vont bien. Parce qu’avec le VIH, l’état de santé peut se dégrader très vite, des difficultés d’observance au traitement, parce que simplement on n’a pas assez à manger et c’est difficile d’avaler ces pilules bleues tous les jours, ça peut très vite avoir des conséquences très délétères et faire dégringoler un état de santé à toute vitesse. La préservation de l’état de santé des personnes par la mise à l’abri, par un travail sur les conditions sociales, est essentielle. Ça, c’est la première chose. Puis la deuxième chose qui me semble importante. Je pense qu’il n’y a pas matière à remettre en cause les appartements de coordination thérapeutique pour les personnes gravement malades, c’est très bien que ça existe pour les personnes gravement malades, et qui ont besoin de coordination des soins. De même, dans un autre registre, c’est important qu’il y ait des centres maternels pour les mamans qui sont en difficulté dans leur rôle de mamans. Mais il faut aussi des dispositifs pour les gens qui vont bien. Pour les gens qui vont bien sur le plan de la santé et qui ne sont pas des mamans en difficulté, qui battent leurs enfants. Et c’est vrai que c’est dans ces situations-là qu’on est un peu démuni. Pour des foyers qui globalement vont bien, juste besoin du petit coup de pouce qui va leur permettre à un moment de s’intégrer, de travailler, d’avoir des enfants scolarisés, etc.
Eva : Oui, surtout qu’elles vont bien mais le fait de ne pas avoir un toit tous les soirs, elles vont se décourager, elles ne sauront plus où mettre les traitements. Si elles sont hébergées, elles se sentent très mal à l’aise parce que l’hébergeant a un doute sur sa séropositivité. Elles vont simplement ne plus ramener les traitements à la maison, ne plus les prendre. C’est aussi au moment où elles vont bien, qu’il faut agir, ne pas attendre que la situation se dégrade parce que c’est ce qu’on constate dans beaucoup de cas quand ça va bien mais qu’il y a des problèmes d’ordre sociaux, la situation se dégrade au fur et à mesure.
Nino : Je suis d’accord avec la belle analyse d’Eve et d’Eva. Par rapport aux ACT qui s’ouvrent à d’autres pathologies, moi j’ai été hébergé à la Berlugane, où nous étions mélangés avec d’autres pathologies. C’est quelque chose qui m’a fait apprendre beaucoup de choses, par rapport à ma pathologie et qui m’a permis aujourd’hui d’être autonome d’avoir un logement, un toit où je prends mes médicaments tranquillement, très bien et d’être autonome déjà au niveau de ma santé, au niveau du plan professionnel et franchement merci, heureusement qu’il existe ces appartements de coordination thérapeutiques. Merci pour l’analyse d’Eve et Eva.
Sandra : La discussion continue sur le site comitedesfamilles.net.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
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