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24.09.2014

Grèce : des filles envoyées en prison à cause de leur séropositivité

Sandra: Savez-vous qu’en Europe, nous pouvons être mis en prison parce qu’on est séropositif ? Incroyable ?! Pourtant, c’est un fait qui s’est réellement passé et ça se passe au sein de l’Union européenne, en toute impunité. En 2012, la police grecque avec des services sanitaires du pays ont arrêté des femmes au hasard dans un quartier d’Athènes connu comme haut lieu de prostitution. Des médecins, dépêchés sur place, ont pratiqué de force et par intimidations, des dépistages du VIH aux femmes contrôlées. À l’issue de cette opération totalement illégale, une trentaine de femmes ont été déclarées séropositives, envoyées en prison et affichées dans tous les médias. L’histoire de ces femmes est racontée dans un reportage d’une heure diffusée sur internet. Vous pouvez le retrouvez sur notre site comitedesfamilles.net

Nous sommes en 2014, alors pourquoi en parler encore maintenant ? Parce que ce n’est pas fini et qu’il ne faut pas oublier. C’est Bernard Escudier, militant pour la lutte contre le sida de longue date qui m’a interpellée sur ce sujet et je vous propose de l’écouter. L’entretien dure une dizaine de minutes.

Début de l’enregistrement.

Sandra  : Pour les auditeurs qui ne connaissent pas du tout l’histoire est-ce que tu veux bien nous raconter ce qui s’est passé en Grèce et comment tu as été au courant de cette histoire ?

Bernard Escudier : Je l’ai appris par le milieu militant. Deux personnes avaient été arrêtées dans la rue pour des contrôles inopinés. Une équipe du ministère de la Santé grecque, le Kaltino, dirigée par Papadimitriou, est venue dans la rue et a fait des contrôles avec les policiers. Si les personnes étaient séropositives on les emmenait en prison directement. Ça a ému beaucoup de personnes dans le milieu associatif contre le sida et des droits de l’homme. Je me suis rendu compte que la personne qui était à la tête du Keelno était aussi le vice-président de l’Institut Pasteur et que personne en France n’en parlait. J’ai posé une question directement à l’institut pour savoir ce qu’ils en pensaient, à savoir un homme qui bafouait les droits de l’homme, était aussi à la tête de l’institut prestigieux. J’ai pris contact avec l’avocat des personnes qui avaient été arrêtées. J’ai appris ainsi que c’était essentiellement des filles, mais ça n’a jamais été très clair. On a très vite dit que c’était des filles prostituées, mais les filles étaient étrangères : Russes. Dans le contexte il faut savoir que ces arrestations se sont passé deux mois avant les élections législatives. C’était pendant une période mouvementée de la vie politique grecque. Pour plusieurs élections législatives, on n’arrivait pas à trouver un Premier ministre. Monsieur Papadimitriou a répondu à l’invitation un peu agressive et extrémiste d’une partie de la droite grecque pour montrer du doigt le fait que les étrangers étaient la cause de beaucoup de problèmes, et notamment de problèmes de santé. Les députés qui ont appuyé ses actions ont été élus. Après les élections et les arrestations, le nouveau Premier ministre a choisi le ministre de la Santé du parti d’extrême droite. C’est l’équivalent du FN. Cet homme a restreint les droits des malades en diligentant des actions contre des personnes qui lui étaient hostiles. Donc il faut agir.

Sandra   : Il faut agir. Qu’as-tu fait pour agir ? Que voulais-tu faire ?

Bernard Escudier : J’ai pris contact avec les diverses associations historiques que je connaissais en Grèce. Elles avaient de grosses difficultés à vivre. Certaines avaient été aidées financièrement par Papadimitriou. Elles étaient donc les mains liées. À ma grande joie, j’ai vu que même ceux qui étaient dépendants de ce monsieur ont pris parti. Par exemple le médecin que l’on voit dans le documentaire grec sur cette affaire de criminalisation du VIH, ce médecin qui est une dermatologue extraordinaire a porté plainte. Cette plainte a été enregistrée par le procureur de la République. Donc j’ai fait le tour des autres associations et toutes se sont associées à la plainte. Je me suis rendu compte que tout cela était général et que l’on ne prenait pas de responsabilité. À l’étranger on sous-estimait l’importance de cette affaire, que ce qui se passait dans un pays d’Europe était particulier et qu’il fallait réagir rapidement. L’atteinte aux droits de l’homme était manifeste. On était dans une crise politique et économique de grande ampleur et c’était la porte ouverte à d’autres exactions. Il fallait peut-être être plus précis dans la nomination des responsabilités. Et donc j’ai invité les uns et les autres à réagir contre Papadimitriou. Certains m’ont dit qu’il était très difficile de réagir parce que c’est lui qui négocie l’aide alimentaire pour les malades. Il y a 20 ans, il était terriblement dangereux parce qu’il avait négocié l’aide alimentaire et il l’avait conditionné à l’ouverture des dossiers médicaux des malades. Donc c’est un homme qui est prêt à tout. Il donne un petit peu l’aide alimentaire et des sous aux uns aux autres. Il est très difficile de réagir parce qu’au jour le jour, les malades du VIH sont seuls et abandonnés. Et je comprends très bien que les institutions grecques avaient beaucoup de difficultés à se manifester vis-à-vis de cet homme, qui est franco-grec, biologiste, il a été nommé il y a plus de 20 ans à la tête du département qu’il a créé. Donc que l’on soit de droite ou de gauche tout le monde se met à genoux devant lui et les associations dans ce contexte de fragilité extrême ont beaucoup de mal à taper du poing sur la table. Je me suis dit qu’il fallait réagir avec les associations étrangères, françaises allemandes et ainsi de suite.

Sandra : Là je n’ai pas tout regardé, mais j’ai commencé à regarder le reportage sur la Grèce. C’est dur il faut le regarder en plusieurs fois. C’est grave ce qu’il s’est passé. Donc ces filles si j’ai bien compris, elles ont été relâchées ?

Bernard Escudier  : Elles ont été relâchées, mais il y a toujours des contrôles, mais c’est de pis en pire. Les choses se sont détériorées. La procédure contre Papadimitriou, le patron du Keelno et aussi contre le jeune médecin qui a envoyé ses hommes est en cours. À mon avis elle va durer longtemps parce qu’ils ont laissé trainer les choses. Il faut être courageux pour s’attaquer à Papadimitriou, c’est l’homme qui a créé la cédule maladies infectieuses et de lutte contre le sida il y a plus de 20 ans. Que l’on soit à droite ou à gauche il est toujours là. Il est franco-grec il a fait ses études de biologie en France, il est l’homme des laboratoires pharmaceutiques. Il est le vice-président de l’Institut Pasteur, il est directeur de l’administration du service de maladie infectieuse. C’est un homme qui corrompt tout le monde.

Sandra : Alors aujourd’hui on est en 2014, les faits remontent à 2012 si je ne me trompe pas. Pourquoi continuer d’en parler aujourd’hui ? C’est fini, les filles ont été relâchées alors pourquoi en parler aujourd’hui ?

Bernard Escudier  : Parce que la procédure est en cours. Les filles ont été libérées, mais les actes ont été très graves. Le pouvoir politique en place continue à réduire tous les budgets de prévention, les pratiques de substitution de seringues se sont arrêtées. C’est une catastrophe et c’est Papadimitriou qui est à la tête de ce service donc j’ai pensé avec d’autres comme Act up qu’il fallait interpeler monsieur Papadimitriou avec l’aide de l’Institut Pasteur et à mon grand étonnement monsieur « Jouan », qui est le directeur des affaires internationales de l’Institut Pasteur en France m’a dit qu’il allait poser des questions. Il m’a assuré qu’en janvier monsieur Papadimitriou ne serait plus à la tête de l’Institut Pasteur en Grèce. Je vais lui poser la question si c’était une affaire de chaise musicale. Est-ce que vraiment son départ était motivé ou si c’est simplement une affaire de courtoisie entre deux contrats négociés ? Il m’a dit qu’en effet monsieur Papadimitriou serait évincé de son poste et qu’on lui expliquerait. Moi je crois que la situation restera grave tant que cet homme sera à la tête de cette institution et c’est ainsi qu’il corrompt beaucoup de personnes et qu’il bloque tous les budgets. Maintenant, nous sommes dans le cas d’une politique qui aboutit à la privation de droits, à la violation des droits des personnes malades. C’est très grave. Je suis un peu ému, j’ai du mal à m’exprimer.

Sandra : Je comprends, ce n’est pas simple comme histoire. Des faits m’ont moi aussi marqué comme les policiers et greffiers qui portaient des masques et des gants pour interpeler ces jeunes femmes, la façon dont elles étaient interpelées, les conditions de détention, tout est horrible.

Bernard Escudier : La police n’avait jamais été associée à ce genre de pratiques sanitaires et c’est une première en Europe je pense. Que ce soit dans le cas d’une action du ministère de la Santé que des policiers interviennent, ils étaient dépassés les policiers aussi. Donc si on ne leur dit pas la vérité aux policiers eux-mêmes, tout le monde est manipulé.

Sandra  : Même les médias sont manipulés. Le rôle des journalistes dans cette affaire est horrible. Montrer ces jeunes filles à visage découvert, les accuser d’être des bombes humaines.

Bernard Escudier   : Il faut savoir qu’en Grèce il y a beaucoup de télévisions privées qui appartiennent à des groupes marchands, qui cherchent de l’audimat, qui font des micros-trottoirs comme si s’était un outil de journalisme. C’est la course à l’audimat, maintenant la télévision publique a disparu. Le Premier ministre a fait en sorte qu’elle soit fermée. Il est encore plus nécessaire de dire ce qu’il se passe. Même si les filles ont été libérées parce que nous avons de moins en moins les moyens de savoir ce qui se passe dans ce pays.

Sandra : Comment les gens sont informés par rapport au VIH ?

Bernard Escudier : Les gens sont quand même informés grâce à d’autres moyens modernes. Maintenant ils ne sont pas dupes ils savent bien que la politique récente amalgame beaucoup de choses. L’ennemi c’est l’étranger, néanmoins les gens sont prudents parce qu’étant donné que les hôpitaux, la médecine la plus simple, n’est plus assurée, ils sont donc plus préventifs face aux épidémies comme le VIH. Les actes simples comme aller chez le dentiste ce n’est pas possible. Nous essayons d’aller au plus pressé et c’est vrai que l’on associe les malades du VIH de manière affreuse aux étrangers. Ça fait peur, il faut le dire.

Fin de l’enregistrement.

Sandra : Et j’ai appris que Rose Marie Van Lerberghe, présidente du conseil d’administration de l’Institut Pasteur à Paris, le 6 août 2014 a envoyé une réponse à Act-Up, disant, je résume, qu’elle condamne fermement les dépistages effectués par le Centre hellénique pour le contrôle des maladies et la prévention (KEELPNO) dirigée par M. Papadimitriou. Elle précise que l’Institut Pasteur à Paris n’a jamais été associé à ces dépistages, et que plusieurs courriers ont été adressés aux autorités grecques, à la direction de l’Institut Pasteur grecque, et au président de son conseil d’administration. Madame Françoise Barré Sinoussi, prix Nobel de médecine 2009, a dénoncé aussi publiquement ses agissements. Elle explique aussi que la nomination du vice-président du Conseil d’administration relève de la seule autorité du ministre grec de la Santé conjointement avec le secrétariat général de la recherche sans que l’avis de l’Institut Pasteur soit requis. Donc est-ce que Papadimitriou sera renvoyé de ses fonctions ? Je rappelle qu’en Grèce, c’est l’extrême droite qui a le pouvoir et tout est contrôlé. Drôle de démocratie ! Yann, est-ce que tu en avais entendu parler ?

Yann : La seule fois où j’en ai entendu parler c’est par ton biais, c’est à la radio. Autrement c’est vrai que dans les médias, dans les journaux je n’ai jamais eu échos de ce scandale. Ça m’étonne même que le Parlement européen, enfin il y a quand même des lois sur l’Europe qui interdisent de faire ce type d’agissement. Donc j’espère que la plainte va suivre et que ce monsieur va être condamné et surtout, que ces personnes qui ont été discriminées puissent se reconstruire par le biais soit d’une participation financière, je ne sais pas comment faire parce que le mal est fait et restera.

Sandra : Le mal est fait. Je vous invite à regarder ce reportage d’une heure et on voit que la vie de ces femmes et la famille aussi est brisée. Il y a quelque chose de cassé c’est sûr.

Yann : Donc c’est une espèce de Le Pen en puissance quoi. Ça me rappelle un peu les sidatorium que voulait faire Le Pen. Mais c’est vrai que ça nous trou le… ça nous fait tomber les bras tellement c’est loin de notre philosophie. Enfin, nous qui sommes parties prenantes dans l’ouverture à ce que les séropositifs ne soient plus vus comme des porteurs de bombes humaines comme tu disais. C’est dégoûtant.

Sandra : François, est-ce que tu avais entendu parler de cette histoire ?

François : Jamais. Pas du tout. Je suis assez étonné d’ailleurs parce que c’est vrai que c’est très grave. Je me rends compte une fois de plus que les médias filtrent et nous disent ce qu’ils veulent bien nous dire.

Yann : D’ailleurs, je suis même étonné que l’institut Pasteur de Paris ne fasse pas plus. C’est quand même l’image de Pasteur qui est en jeu.

Sandra : Oui, même si c’est l’Institut Pasteur en Grèce, on se doute qu’ils travaillent ensemble. C’est vrai qu’ils ont réagi un peu tard du coup. Après, on comprend que ça se passe en Grèce, c’est le gouvernement en Grèce. C’est une démocratie mais c’est une république parlementaire. Le vote ne se passe pas de la même façon. Mais tout de même. Et Medhi, est-ce que tu connaissais cette histoire ?

Mehdi : Non, je ne connaissais pas cette histoire. Ça fait partie de ce genre de choses qui me hérissent les poils, ça me donne envie vraiment… des grosses montées de violence. C’est scandaleux. Après, contrairement à François, je ne suis pas étonné. Enfin je suis outré, choqué mais…

Sandra : Plus rien ne t’étonne ?

Mehdi : Ce n’est pas que plus rien ne m’étonne mais ce qu’il y a quand même une logique de taper les pauvres, les étrangers, ceux qui n’ont pas de thune, ce qui n’ont pas de bol, ceux qui sont malades. Encore une fois, c’est ceux qui ont le plus de mal à répliquer et du coup il faut toujours des boucs émissaires, on va chopper les gens vraiment bien dans la merde et on va bien les enfoncer encore plus.

Yann : Oui en plus, c’est un choix politique parce qu’apparemment c’était avant les élections.

Sandra : Tout à fait.

Mehdi : C’est un vrai truc. Je sais qu’on va toujours me dire : « toi tu es un idéologue, etc. tu lis trop de bouquins ». Mais ces mecs-là ils agissent aussi par idéologie. Il y a un moment c’est du racisme de classe, c’est du racisme tout court, c’est une discrimination sur ce qui est différent et tout. Ce qui me choque aussi c’est que c’est bien gentil de condamner, d’envoyer des lettres, etc. mais il y a un moment ces mecs-là faut les mettre au banc quoi. Je veux dire ça se passe en Grèce, ils ont quand même posé des bases philosophiques de la démocratie et qu’il y a un moment il y avait quelque chose qui s’appelait l’ostracisme qui est que quand il y a quelqu’un qui pétait vraiment un plomb, qui disait n’importe quoi ou qui devenait dangereux pour la communauté…

Yann : On le mettait à l’écart.

Mehdi : Voilà, c’est ça. C’est l’exil et puis basta. Je serais un scientifique d’une communauté scientifique internationale etc. je refuse d’être dans la même pièce que ce mec-là.

Yann : Mais bon comme le disait Sandra aussi, c’est un type qui a été voté par le peuple.

Sandra : Oui enfin. Je fais un petit point politique. C’est une république parlementaire donc ça veut dire que le pouvoir exécutif est assuré par le président de la République élu pour un mandat de 5 ans par le parlement à la majorité des 2/3 et un Premier ministre issu de la majorité parlementaire. Aujourd’hui, le président a un rôle purement représentatif et il n’a aucun pouvoir politique. Le Parlement, comment ça se passe ? Il est composé de 300 députés élus au suffrage universel direct, donc c’est là que les citoyens votent, pour un mandat de quatre ans. Ont le droit de vote les tous les citoyens grecs âgés de dix-huit ans révolus ; sont éligibles tous les citoyens grecs âgés de vingt-cinq ans révolus. Le vote est obligatoire. Le mode de scrutin est proportionnel. Le territoire de la Grèce est divisé en 56 circonscriptions.

En ce moment c’est la crise sanitaire en Grèce, on le sait, les médias en ont parlé et un grec sur trois n’a plus de couverture de santé. C’est vraiment grave au niveau sanitaire, au niveau économique aussi. Il y a eu des manifestations. Le peuple en à ras le-bol mais que faire ? Le pouvoir n’appartient pas vraiment au peuple, ce n’est pas une démocratie comme chez nous.

Yann : Merci pour tes précisions.

Sandra : Peut-être que Lucas tu as quelque chose à rajouter, comme toi aussi tu avais travaillé sur ce dossier. Tu avais écrit l’article qu’on a publié sur le site comitedesfamilles.net une information à rajouter ou pas ?

Lucas : Non, je conseille juste de voir ce documentaire qui est magnifique, qui est très prenant. En voyant ce documentaire on peut se mettre à la place des familles des personnes qui ont été interpellées. Il y a le témoignage d’une femme qui décrit une histoire. Son fils qui est militaire, qui l’appelle en pleurant en lui disant : « Maman, j’ai vu ma soeur à la télé, ils disent que c’est une prostituée, ils disent qu’elle a le VIH ». Il faut se rendre compte que cette situation est vraiment gravissime.

Sandra : Et si le Front national passait en France, que se passerait-il ? Vos réactions sur le site comitedesfamilles.net.

Transcription : Sandra Jean-Pierre

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