Sandra : Aujourd’hui on va parler d’une pièce de théâtre qui s’appelle «Le bruit du silence», que j’ai vue avec quelques membres du Comité des familles. J’ai eu le privilège de pouvoir interviewer les acteurs de la pièce. Je vous laisse écouter ça.
Début de l’enregistrement.
Gwendal Audrain : Non, je ne suis pas concerné par la maladie, ni de près ni de loin. Pas dans mon entourage.
Anne Fischer : Comme Gwendal, je ne connais pas intimement une personne qui a le virus. Donc c’est vraiment juste du jeu. Après c’est un engagement parce que le thème nous touche.
Gwendal Audrain : Et puis en fait c’est là pièce qui nous a plus nous fait rapprocher de ça parce qu’il y a des gens parfois qui étaient concernés, qui venaient nous parler après la pièce et qui nous ont dit « ah oui, moi ça me concerne, c’est chouette ce que vous avez fait ». Donc grâce à la pièce finalement, on a été amené à rencontrer des personnes qui vivaient ça au quotidien.
Wenceslas Balima : Je suis le metteur en scène de la pièce. Elle me concerne indirectement parce que j’ai eu dans ma famille une situation pareille, un oncle qui est décédé du Sida. Et c’est vrai qu’il y avait eu tout un silence autour de ça même si c’est de l’Afrique. Et c’est vrai que ces sujets sont des sujets pour moi importants que j’avais déjà traité en Afrique en matière de sensibilisation après avoir vu les chiffres effectivement qui sont en train de galoper un peu en Europe, par rapport au Sida puisqu’il y a de moins en moins de sensibilisation, de moins en moins de prévention. Question de budget puis j’ai trouvé cette belle pièce qui traitait vraiment le Sida en simplicité, en humanité donc voilà, c’est pour ça que j’ai voulu monter cette pièce. La pièce parle du Sida depuis le début. L’auteur a parcouru depuis les années 80 jusqu’en 2004 – 2005. On traverse effectivement les périodes où on avait les prises de cachets par heure et après effectivement on arrive en 2005 où les traitements, il y a de l’amélioration, il le dit effectivement, je suis séropositif donc je prends des cachets, le virus est inoffensif donc ça se passe bien.
Gwendal Audrain : Moi, j’ai dû commencer à en entendre parler vers 12-13 ans. On devait déjà être dans les années 90. Je savais que dans les années 80 ça commençait à poser beaucoup de problèmes, grâce à Freddie Mercury mais sinon non, j’étais trop jeune.
Anne Fischer : Pareil. Je suis née en 1986 donc, je l’ai connu avec l’âge un peu plus tard. Oui, vers 12-13 ans, quand on commence à nous en parler un petit peu avec les campagnes d’affichage. En revanche maintenant il y a pas mal de films sur le début du Sida qu’on a vus avant même de faire la pièce quand même.
Gwendal Audrain : Là où j’ai été le plus en contact, c’est quand j’ai vécu en Afrique du Sud. Et là-bas c’est pareil, il y a un gros problème. C’est là-bas où j’ai vraiment touché du doigt un petit peu cette maladie.
Wenceslas Balima: Pour moi, en tant que metteur en scène, c’est justement pour dire aux gens que le Sida aujourd’hui malgré les recherches qui vont bon train, des traitements plus ou moins efficaces, le Sida est là, il continue donc de plus en plus on est dans une certaine négligence de la maladie parce qu’on ne meurt plus du Sida, ça devient une maladie chronique, donc on ne se soucie pas de la vie des personnes malades. Effectivement, on vit longtemps avec les traitements mais dans quelles conditions ? Les traitements avec les effets indésirables qui sont souvent néfastes pour les organes, ceux qui sont malades, on en parle peu en fait. Du coup c’est pour ça que j’ai voulu soulever justement ce problème. Effectivement, oui on est vraiment content qu’on arrive justement à des recherches qui arrivent au jour d’aujourd’hui, il y a des gens qui ne sont plus détectables. C’est bien mais sauf qu’il y a des gens qui sont contaminés de plus en plus parce qu’on rentre dans une négligence justement de cette maladie.
Anne Fischer : Ça parle des années 80 mais en fait il y a deux personnes qui ont le Sida. Il y a Didier. Pour lui c’était les débuts du Sida. Et après il y a Alexandre. Pour lui c’est plus actuel, les années 2000. Donc il y a vraiment les deux époques en fait par le biais des deux personnages.
Gwendal Audrain : Je considère qu’il n’y a pas de moral, c’est juste une histoire, des faits. On ne dit pas il faut en parler, faut pas en parler. C’est juste montrer aux gens une histoire par rapport au Sida parce que c’est encore un petit tabou aujourd’hui et que malheureusement pour certaines personnes avoir le Sida, on pourrait presque dire : « C’est bien fait pour toi, tu l’as bien cherché ».Une autre maladie ça passe mais le Sida il y a un côté encore oh bah tu n’avais pas qu’à faire le con et tout ça. Et c’est dur quand même. Pour moi, il n’y a pas de morale dans cette pièce, c’est juste on met des faits, on présente aux gens une histoire, ils en font ce qu’ils veulent, ils en parlent et ça s’arrête là.
Anne Fischer : On amène surtout une réflexion en fait. Les deux personnages sont compréhensifs. On comprend Alexandre qui ne veut pas en parler parce qu’il y a le regard, on comprend Carole qui en veut parce qu’on ne lui a pas dit et qu’on lui a cachée. Les deux raisons sont compréhensibles. Du coup, ça amène juste la réflexion, à savoir si on en parle ou pas. Nous avons eu des retours de gens qui ont vu la pièce qui nous ont dit c’est vrai qu’ils ne se sont jamais posé la question en fait de leur vision par rapport au Sida et rien que ça, ils se la posent en sortant. Ils sortent de là en disant : « Comment je réagirais si je l’avais ? Comment je réagirais si quelqu’un me l’annonçait ? ». Inconsciemment il y a forcément aussi ce truc où je prends du recul, où j’ai de la compassion. Ça amène vraiment une réflexion.
La première personne, c’était à Montreuil. Il est arrivé, il nous a fait un gros câlin. Comme s’il nous connaissait, vraiment il nous a enlacés et vraiment il était très heureux, très ému qu’on en ait parlé. En général, ils sont vraiment contents qu’on en parle.
Wenceslas Balima : Et il a annoncé sa séropositivité devant tout le monde. Je pense qu’il ne l’avait même pas annoncé à ses collègues. Je pense que ses collègues ne savaient même pas qu’il était séropositif. Mais je pense que ça a été un moment pour lui où il s’est dit je peux en parler. C’est l’espace en fait, c’est comme si on lui avait ouvert une porte.
Gwendal Audrain : Ce qui arrive souvent c’est que soit ce sont des personnes atteintes du virus, soit des personnes qui ont dans leurs familles quelqu’un qui est atteint du virus et généralement les personnes qui viennent nous parler après nous disent que ça leur fait du bien parce qu’ils n’ont personne à qui en parler. Et du coup, là ça leur donne une occasion de pouvoir échanger sur ça parce que dans la vie de tous les jours ils n’osent pas en parler ou je ne sais pas. Du coup ça leur fait du bien je crois en général.
Sandra : Après avoir fait cette pièce, est-ce que vous vous êtes posés des questions, vous vous êtes dit, ce serait peut-être bien que j’aille faire mon test de dépistage ?
Gwendal Audrain : Je le fais régulièrement, je le faisais avant déjà.
Anne Fischer : Pareil, je l’avais fait bien avant. Mais effectivement, on y pense, on fait de la prévention. On dit souvent aux gens « protège-toi » (rires).
Gwendal Audrain : Les fois où il m’arrive d’avoir un accident, pas de préservatif, je m’en veux encore plus aujourd’hui qu’avant. Je me dis mais ce n’est pas possible, je joue une pièce sur ça, je ne fais pas, ce n’est pas bien (rires). Donc j’ai un peu plus de conscience encore.
Profite de la vie, viens voir notre pièce parce qu’on a besoin de public (rires).
Anne Fischer : J’ai juste envie de leur dire c’est leur liberté de le dire ou de ne pas le dire. En tout cas, il faut vraiment qu’ils fassent ce dont ils ont envie. Quoiqu’ils décideront, c’est vraiment leur choix personnel et je pense que personne ne peut les juger, personne ne peut dire ce qu’il doit faire à leur place.
Wenceslas Balima : Il faut dépasser en tout cas ces jugements, ces stéréotypes des uns et des autres. Il faut faire ce dont on a besoin, ce dont on a envie effectivement et il faut avancer. Il faut arrêter de prendre en compte le regard de la société. Je pense que c’est ça qui tuera justement, cette façon de regarder les personnes malades. Ce n’est pas seulement le Sida, je crois que toutes les maladies orphelines transportent ce regard -là, ce poids de la société. Donc il faut essayer de percer l’abcès. Aussi je crois, mon humble avis, en parlant aussi, en dépassant aussi cette solitude. De plus en plus, on a vu dans la pièce, effectivement il y a ceux qui se renferment, qui ne veulent pas en parler et finalement qui souffrent tout seul. Donc on n’a pas besoin de souffrir. C’est une maladie comme une autre aujourd’hui le Sida, surtout c’est devenu une maladie chronique. Donc il faut vivre sa maladie comme toutes les autres maladies.
Anne Fischer : Surtout je pense que, nous pour avoir rencontré des associations, c’est vrai que ce qui est le plus important c’est le dépistage. Il faut faire le dépistage pour savoir si on est…
Gwendal Audrain : Pour soi et pour les autres.
Anne Fischer : Oui, pour soi et pour les autres c’est vrai. Parce que si le virus n’est pas déclenché effectivement il y a des traitements, des médicaments et plus tôt c’est traité, moins il y a de dégât.
Wenceslas Balima : Il ne faut pas hésiter de témoigner. Je pense que c’est super important pour ceux qui ne connaissent pas le Sida, ceux qui ne connaissent pas le sujet. Nous, on a eu cette occasion justement dans nos tournées, d’avoir des personnes malades qui ont témoigné et moi je retiens toujours cette dame du sud qui parlait justement des effets des antirétroviraux. Elle disait que ça détruisait son foie. Ça, c’est des choses, on parle peu de ça justement, des effets secondaires de cette maladie. Elle disait qu’elle était obligée d’aller voir la médecine des plantes pour essayer d’équilibrer un peu et on a vu AIDES aussi il n’y a pas longtemps, ils en ont parlé un peu. Maintenant ils ne disent même plus des effets secondaires, ils parlent d’effets indésirables. Et donc on oublie tout le temps effectivement que ce n’est pas juste prendre un cachet et c’est fini. Il y a des choses derrière et je pense que le témoignage aussi va permettre au grand public de voir que les gens peuvent vivre du Sida mais il y a aussi des difficultés derrière. Il ne faut pas omettre, c’est les deux qui sont ensemble. Une personne séropositive, ce n’est pas une personne qui vit sa vie de façon saine mais avec de temps en temps des rechutes et ça c’est des choses qu’il ne faut pas oublier.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Le bruit du silence, une pièce qui s’est jouée entre autres à Paris. J’aurai une question pour Samira Hadjadj. Vous avez un peu écouté l’interview, est-ce que ça vous a donné envie d’aller voir cette pièce ou pas du tout ? Soyez franche.
Samira Hadjadj : Ah bah oui. Dès qu’elle sera reprogrammée, j’essayerai d’aller la voir.
Sandra : Bonne nouvelle, cette pièce a été adaptée d’un livre qui s’appelle« le Bruit du Silence», écrit par Bruno Gallisa. En attendant que la pièce soit rejouée à Paris ou en province, vous pourrez lire le livre. Et il y a Francis qui a été voir cette pièce avec moi. Il donne son avis, je vous propose de l’écouter.
Début de l’enregistrement.
Francis : Moi j’ai bien apprécié cette pièce. J’étais un peu déçu à la fin lorsqu’ils ont dit que c’était la dernière. Pendant que la pièce se jouait, je pensais à certaines personnes qui auraient vraiment gagné en venant voir cette pièce. Des personnes séropositives comme des personnes séronégatives. Voir cette pièce, c’est vraiment très instructif.
Cette pièce me reflète quelque part. On a l’impression que ça reflète un peu ce que nous sommes, ce que nous vivons. Tout ce que nous n’arrivons pas à dire. Quelque part c’est dit d’une façon où d’une autre, c’est en cela que c’est intéressant pour une personne séropositive.
Pour une personne séronégative, c’est intéressant parce que c’est instructif parce que cette chape de silence qui entoure la maladie dans la famille de celui qui est décédé, sa soeur aurait voulu que l’on en parle, les parents ne veulent pas qu’on en parle à cause de leur image de marque, etc. Les uns et les autres sont constamment tiraillés par cette dichotomie. Faut-il en parler ? Que l’on soit séropositif ou parent d’un séropositif, on a constamment à faire à cette question. Même si on l’a résolu d’une façon ou d’une autre, pour des gens comme moi, je l’ai résolu, je ne me la pose pas. Je vis et puis voilà. Mais malgré tout ce n’est pas parce que je l’ai résolu que la question ne se pose pas. Elle se pose à tout à chacun je crois.
Les acteurs ils ont été vraiment super et d’apprendre en plus que ces deux personnes qui ne sont pas séropositives, qui n’ont pas de séropositif dans leur entourage, ça me… je suis très charmé. Et puis toutes mes félicitations au metteur en scène. J’aurais souhaité que la pièce continue et qu’ils aient l’occasion de jouer ça dans des établissements secondaires, de jouer ça dans des foyers, de jouer ça devant des associatifs. Vraiment si possible même pourquoi pas de l’enregistrer et puis de diffuser…
Sandra : Pourquoi ne pas les inviter à l’association ?
Francis : Pourquoi ne pas les inviter à une occasion donnée, une journée mondiale ou quelque chose comme ça. La pièce est vraiment très intéressante. Quoique, j’ai l’impression que ça traite un peu aussi de la maladie dans les premiers moments des années 80 jusqu’aux années 2000 à peu près. J’ai eu cette impression. Néanmoins c’est toujours d’actualité parce que quoiqu’on en dise, on ne meurt pas du Sida d’une façon globale. Allons-y voir dans le détail. Je connais des gens qui sont morts du Sida il n’y a pas longtemps. C’est vous dire qu’on en meurt encore. Aujourd’hui c’est vrai, c’est une maladie chronique mais pour l’ensemble, pour la majorité. Mais dans les détails quand on va voir, il y a encore des gens qui meurent du Sida. Il y a des gens qui meurent dans le silence et il y a encore beaucoup d’ignorants. On le voit aujourd’hui avec les tests rapides, des gens que l’on va trouver dans un café, on s’adresse à eux, ils acceptent de faire prendre leur sang de façon négligente et puis au final ils sont positifs. C’est dire qu’il faut en parler encore, il faut sensibiliser, il ne faut pas baisser la garde.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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