Sandra : Nous allons parler des maladies cardiovasculaires. Qu’est-ce qu’une maladie cardiovasculaire ?
Yann : En rapport avec le coeur.
Sandra : Oui voilà, c’est une maladie qui concerne le coeur et la circulation sanguine. Pourquoi aborder ce sujet à l’émission parce qu’on en parle dans le nouveau rapport de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH, c’est le rapport Morlat. Franck Boccarra est cardiologue à l’hôpital Saint-Antoine et il reçoit entre autres des personnes séropositives. Je vous propose d’écouter une première intervention de sa part, il va nous parler de ses patients qu’il reçoit.
Début de l’enregistrement.
Franck Boccarra : On reçoit plusieurs types de patients VIH. Chaque année on reçoit des patients infectés présentant une séropositivité qui n’ont pas fait des maladies cardiovasculaires ou qui ont déjà fait une maladie cardiovasculaire. Heureusement le plus grand nombre de ces patients sont ceux qui n’ont pas fait de maladies cardiovasculaires, que nous voyons en prévention pour éviter un accident cardiovasculaire. Nous voyons environ entre 50 et 80 patients qui viennent pour un événement cardiovasculaire par an et nous voyons entre 300 et 400 patients par an qui nous sont adressés pour prévenir le risque de maladies cardiovasculaires, en faisant une évaluation avant que les symptômes arrivent pour voir si les patients sont à risque et renforcer un traitement qui préviendrait surtout un risque du myocarde. Parmi ceux qui ont présenté un événement cardiovasculaire, il y a plus d’hommes. L’infection du myocarde est nettement plus prédominante chez l’homme par rapport à la femme, c’est certain. Quand on regarde dans toutes les études qui ont publié, qui se sont intéressées à regarder les infarctus chez les patients séropositifs, on avait 9 hommes pour une femme. En moyenne on avait 10% des femmes parmi les séropositifs qui ont présenté un infarctus du myocarde. C’est quand même très peu représentatif. L’infarctus du myocarde dans la population générale c’est plutôt une maladie masculine, plutôt qu’une maladie féminine. Bien sûr normalement les femmes après la ménopause rejoignent le risque des patients hommes. Chez les patients qui viennent déjà pour une maladie cardiovasculaire en aigu, qui viennent se faire soigner c’est plutôt à prédominance masculine. A l’inverse en prévention on a un petit peu plus d’hommes mais on n’est pas au rapport 9 sur 1 on est plutôt à un rapport 6 sur 4. On nous adresse beaucoup de patients particulièrement des patients d’Afrique subsaharienne pour les hypertensions artérielles. En effet on sait que la prévalence de l’hypertension artérielle est plus importante chez les sujets de race noire que les sujets de races blanches, en particulier en Afrique subsaharienne. Il y a beaucoup de patients séropositifs, en particulier des femmes qui nous sont adressées pour une prise en charge de cette hypertension artérielle. C’est souvent des hypertensions artérielles mal équilibrées résistantes au traitement et souvent associées chez ces femmes à des troubles de la répartition des graisses, ce qu’on appelle une lipodystrophie.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Franck Boccarra au micro de l’émission Vivre avec le VIH. Quand je suis parti le voir, je m’attendais à voir sur son bureau le fameux rapport Morlat puisque nous avons pu le récupérer lors des différentes conférences. Et lui me dit qu’il ne l’a pas reçu alors qu’il fait partie du groupe d’expert qui a rédigé le chapitre où on parle des maladies cardiovasculaires et apparemment ce n’est pas la première fois.
Yann : Ça passe mal en communication.
Sandra : Oui voilà, ça c’était pour la petite anecdote. Qui est concerné par les maladies cardiovasculaires d’après vous ? Toutes les personnes séropositives doivent-elles s’inquiéter de développer un jour une maladie cardiovasculaire ?
Yann : Je ne pense pas parce que c’est quand même lié à la qualité de vie, à l’alimentation, de faire du sport, de s’entretenir.
Sandra : Les autres, qui est concerné ?
Julienne : Moi je suis concernée parce que moi c’est par rapport à ça que j’ai commencé, quand j’étais au Cameroun, j’avais ma tension qui partait de 20 à 22. On ne voyait pas le virus du sida. C’est plutôt la tension qui montait. Ca persistait c’est quand je suis arrivée ici qu’on a vu que c’était plutôt le VIH qui provoquait la montée de la tension. Je suis sous traitement jusqu’à aujourd’hui.
Sandra : Pour l’hypertension ?
Julienne : Oui pour l’hypertension. Quand j’arrête même pour un ou deux jours, ça revient. Pour être stable je suis obligée d’être sous traitement.
Sandra : Comment ça se passe le traitement pour traiter l’hypertension ?
Julienne : Le médicament. Tu dois bouger à tout moment, il ne faut pas rester tranquille, il faut un peu bouger.
Yann : Julienne tu peux nous dire peut-être les symptômes, comment reconnaître l’hypertension chez quelqu’un ?
Julienne : À tout moment tu as toujours mal à la tête. Tu as toujours les vertiges et la fatigue. Tu ne sais même pas d’où ça sort.
Yann : Des bouffées de chaleur un petit peu ?
Julienne : À tout moment, comme moi je suis déjà un peu âgée, moi je croyais que c’est parce que je partais déjà vers la ménopause et tout comme ça c’était alors mélangé, je ne me retrouvais pas.
Sandra : Les autres, connaissez-vous d’autres facteurs de risque concernant les maladies cardiovasculaires ?
Yann : Le tabac.
Sandra : Oui.
Tina : La trithérapie favorise la venue de maladies cardiovasculaires de manière générale. C’est pour ça que les personnes séropositives sont plus sujettes à ça. Plus les hommes que les femmes. De ce que j’ai compris la trithérapie favorise ce genre de cas.
Sandra : Le cardiologue dans la discussion il ne m’en a pas parlé.
Julienne : L’alcool aussi.
Bruno : Il n’a pas dit la différence pourquoi beaucoup d’hommes ici en Europe et pourquoi beaucoup de femmes en Afrique ?
Sandra : Si, je lui ai posé la question et si tu veux on va écouter tout de suite la réponse.
Début de l’enregistrement.
Franck Boccarra : On ne sait pas. Plusieurs hypothèses mais on ne sait pas pourquoi le sujet de race noire présente plus d’hypertension artérielle que les sujets de races blanches. Avec en plus des complications de l’hypertension artérielle qui ne sont souvent pas les mêmes que les sujets de race blanche. Les sujets de race noire font plus de font plus de complications à type d’accident cérébral que d’accident coronaire cardiaque. C’est l’inverse chez le sujet de race blanche. Il y a plus une atteinte coronaire qu’une atteinte cérébrale liée à l’hypertension artérielle.
Sandra : Coronaire c’est quoi ?
Franck Boccarra : C’est les artères du coeur, le risque d’infarctus du myocarde. Donc on a l’impression que le risque d’infarctus du myocarde est un peu moindre chez le sujet de race noire par rapport au sujet de race blanche. La prévalence de l’hypertension artérielle est nettement plus élevée chez le sujet de race noire que le sujet de race blanche. C’est de l’ordre de deux fois et demie supérieures. C’est un problème majeur. Si on doit faire une politique de santé publique en Afrique, c’est de bien sûr de donner un traitement, bien sûr d’aider les patients à avoir un traitement antirétroviral, c’est une première des choses à faire chez plus de 25 millions de patients africains infectés par ce virus mais aussi on sait que c’est probablement dans les 20 à 30 prochaines années, il va y avoir une augmentation très importante des complications cardiaques chez les patients africains en général, qu’ils soient VIH + ou pas VIH à cause du mode de vie qui change en Afrique subsaharienne, comme dans les pays européens occidentaux, c’est-à-dire, sédentarisation, augmentation de l’alimentation, meilleur niveau de vie et donc obésité, diabète et risque d’infarctus du myocarde et tout ça associé à de l’hypertension artérielle qui est plus prévalente chez ces patients que les patients de race blanche. On a un cocktail un peu explosif en Afrique subsaharienne mais il y a une conscience générale de ça et on sait qu’il y a énormément de recherche et de prévention qui vont probablement se faire j’espère d’ici les 30 prochaines années dans ces pays-là, parce qu’il y a une augmentation. Ça peut paraître paradoxal, mais il y a une augmentation de l’obésité très nette en Afrique subsaharienne. On le voit bien. C’est sur des populations qui étaient sédentaires, qui bougeaient beaucoup, qui étaient plutôt des bergers ou des agriculteurs, dès que vous les mettez en ville, elles prennent du poids, elles changent leurs modes de vie, elles sont sédentaires, apparaît un diabète. C’est exactement le même cas de figure qu’on a avec les Mexicains aux États-Unis. Du côté mexicain n’avaient pas beaucoup à manger, est obligé de travailler beaucoup la terre, de bouger, de marcher et dès qu’on le transporte aux États-Unis, le mode de vie fait qu’on devient sédentaire ils ont une incidence plus élevée de diabète, d’hypertension et de complications cardiovasculaires. C’est un réel problème l’obésité vous verrez dans les 30 prochaines années, en Afrique et pas seulement aux États-Unis. Probablement qu’aux États-Unis ils trouveront une solution mais en Afrique on aura du mal à trouver une solution. C’est vrai que le changement de mode de vie des patients en Afrique subsaharienne ça se voit aussi au Moyen-Orient, ça se voit aussi en Asie. On a les mêmes problèmes. Tout ça un jour va augmenter les problèmes cardiovasculaires.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Voilà Bruno, tu as ta réponse ?
Bruno : J’aurai peut-être rajouté en plus le stress de ne pas être dans son pays.
Sandra : Là c’est pour les personnes qui vivent en Afrique que le risque est plus élevé. Même en Afrique ils ont remarqué que le risque est plus élevé de développer une maladie cardiovasculaire. Et ils ne savent pas trop pourquoi.
Bruno : Moi c’est ma réponse à moi. Sur ce que je vis avec les personnes, je vis en couple sérodifférent donc c’est vrai que j’ai ma propre expérience. Les personnes avec qui j’étais, je me suis rendu compte que le stress des effets secondaires ça fait des… je suis confronté à des crises que je n’ai pas l’habitude que j’ai dû mal à comprendre. J’ai l’impression que ça mène à des problèmes de coeur. En plus du stress d’arriver en France, plus les médicaments, plus les effets. Ce n’est pas tout le temps mais c’est régulièrement que j’ai eu cette expérience de crise où je ne comprends pas et pour moi ça amène à des problèmes liés au coeur.
Julienne : La malnutrition en Afrique. Je prends l’exemple chez moi puisque je ne connais pas les autres. Chez nous pour avoir une alimentation équilibrée c’est un peu difficile parce que ou vous mangez beaucoup les légumes sans mélanger avec d’autres. Les autres ne mangent rien que les fruits. S’il n’y a pas d’autres et en plus tu peux te lever le matin jusqu’à présent tu n’as rien mangé, tout ce qui est devant toi c’est le vin, l’alcool. Nous même en Afrique on en fabrique. Le vin de palme, le whisky. Ca veut dire avec 0 centime tu as déjà tout un litre d’alcool. C’est entre mains, tu n’as rien mangé et tu ne fais que boire peut-être. C’est l’une des raisons que moi je trouve. Il faut d’abord équilibrer la nourriture.
Tina : Et puis la cuisine africaine est souvent très grasse. Dans les ateliers nutrition ici au Comité des familles on en a souvent parlé. Donc les personnes d’origine africaines qui vivent ici apprennent à adapter leurs recettes, faire le même plat, le mafé, le tiep mais avec beaucoup moins d’huile, moins gras. Dans la culture c’est vraiment de manger très gras et ça ce n’est pas bon.
Yann : Ils font souvent l’impasse sur les crudités ou sur les légumes. Ca, au bout de plusieurs années ça…
Bruno : Moi je ne suis pas professionnel mais c’est vrai que je n’adhère pas forcément à ce qu’il dit que les gens viennent des villages. Je pense que certainement ça doit rentrer en compte et moi les personnes que j’ai rencontrées ici sur Paris qui viennent de l’Afrique subsaharienne, la majorité viennent de ville et j’ai l’impression d’être plus villageois qu’eux et c’est pour ça que…
Sandra : De toute façon il a dit que c’était des hypothèses. Ils ne savent pas trop pourquoi la population subsaharienne…
Bruno : Je ne mettrais pas forcément en cause l’alimentation même si ça rentre dedans mais même moi les personnes que j’ai rencontrées, je me sens plus villageois qu’eux. Je ne sais pas comment dire ça. C’est plus un stress, c’est plus beaucoup de stress qui…
Yann : Oui mais ce n’est pas lié je pense à la maladie même de l’hypertension. Le stress c’est encore autre chose.
Tina : Mais le médecin explique que c’est justement les gens qui s’installent en ville qui ont les problèmes cardiovasculaires. Parce qu’ils sont plus sédentaires, ils bougent moins, ils ne font plus d’agriculture. Donc ça rejoint ce que tu dis en fait. Ça va dans le même sens d’être dans un cadre de vie un peu plus confortable ou tu as moins besoin d’effort physique.
Sandra : Puis les villes en Afrique ce n’est quand même pas pareil ici, faut dire ce qui est. Ici à Paris par exemple on marche moins. Tout est en métro.
Bruno : Ils sont peut-être un peu moins stressés, mais bon.
Julienne : Quand tu es en Afrique et quand tu es ici il n’y a même pas de comparaison. L’alimentation ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de nourriture. Ça veut dire que c’est le vin qui est devant toi qui est à la base. Même n’importe où, quand tu prends le traitement on te dit d’abord de manger d’abord. On te dit de limiter l’alcool. Quand tu n’as pas mangé il y a les autres, je prends toujours l’exemple sur moi-même. J’étais commerçante, je n’ai pas là où manger le matin, il n’y a pas eu le temps. C’est facile de prendre une bouteille de bière. C’est facile de prendre, quelqu’un ne peut même pas de te donner à manger mais il te donne le vin. C’est ça qui remplace la nourriture. C’est pour ça que moi j’ai dit l’alimentation en premier. Parce que maintenant toi tu vas aller dire que les gens de l’Afrique peuvent vivre comme les gens d’ici. Moi je te dirai carrément non. Parce que comme il y a trois tribus générales au Cameroun. Il y a les nordistes, les bamilékés, les bëtti. Nous le mangeons pas de la même façon et les autres disent qu’on ne peut pas manger la nourriture des autres. C’est mal préparé peut-être. Quand on va dire maintenant sortez de là où vous êtes pour aller à l’européenne, c’est carrément nul, c’est impossible. Quand nous on mange votre nourriture étant en Afrique, ce n’est pas salé, pas de goût. Maintenant quand il faut enlever les gens dans une situation, il ne faut pas obliger quelqu’un. La santé vient d’abord de la nourriture. Il faut d’abord aimer ce que tu veux manger. Quand tu ne veux même pas manger, tu n’aimes pas ce qu’on te donne, est-ce que tu vas prendre ? Moi je vois seulement que c’est l’éducation en leur disant mange d’abord même s’il y a le vin, mange d’abord. Il y a les autres qui refusent de manger mais il accepte de boire. Il ne faut pas. Si maintenant on me dit mange seulement ceci, tu ne manges pas cela. Je te dirai carrément non.
Tina : Mais est-ce que toi tu as changé ton alimentation en arrivant ici ?
Julienne : Je ne peux même pas changer puisqu’on n’a pas les mêmes goûts. Il y a des trucs ici que je ne peux même pas. Quand vous, vous mettez là beaucoup de nourriture à table, je prends, je ne me rassasie pas. Il y a des gens qui mangent, tout le monde est content, moi je n’ai pas de goût. Ça ne me convient pas. Je suis obligée maintenant, je fais des poissons braisés quelque part avant de venir rajouter pour vous.
Sandra : Ah oui, toute une organisation. Qui sont les personnes qui devraient se sentir concernées par les maladies cardiovasculaires, on écoute le cardiologue Franck Boccarra.
Début de l’enregistrement.
Franck Boccarra : Toute la population générale devrait s’intéresser à ça bien sûr. C’est une maladie qui survient quand même chez les populations âgées, au-delà de 60 ans. Habituellement en France on fait un infarctus vers 64 – 65 ans. Ce qu’on a dans les données actuelles, elles montrent que chez les patients infectés par le VIH la survenue est plus précoce, elle survient vers 49 – 50 ans. Le soucis c’est que cette population globalement est aussi beaucoup plus jeune. On ne peut pas de but en blanc dire que c’est une précocité. La moyenne d’âge de la population VIH + est beaucoup plus jeune que la moyenne d’âge de la population générale bien sûr. Donc on voit que les infarctus surviennent avant 50 ans donc je pense qu’au-delà de 45 ans pour prévenir un peu ce risque, chez des patients qui ont plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires, peut-être qu’on les reverra ensemble tout à l’heure, au-delà de trois facteurs de risques cardiovasculaires comme ça l’a été rapportés dans le rapport Morlat, il faut s’inquiéter du risque de maladies cardiovasculaires. Et en particulier chez les patients qui ont soit un antécédent familial précoce de maladies coronaires, c’est-à-dire un père ou une mère qui a déjà présenté un infarctus du myocarde respectivement avant 50 ans pour le père ou avant 60 ans pour la mère. On sait bien que l’hérédité est très importante dans les maladies cardiovasculaires. Chez les patients qui ont un problème de cholestérol, c’est certainement aussi un fait important et chez les patients qui fument bien sûr. Le facteur principale chez le sujet jeune de faire un infarctus du myocarde ça reste le tabagisme.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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