Joëlle : Le jeudi 26 mars j’ai rencontré Céline Grillon, responsable du plaidoyer réduction des risques VIH/VHC et le Dr Marie-Dominique Pauty, responsable prévention VIH hépatites et tuberculose, à Médecin du Monde. Elles m’ont expliqué les raisons de la mobilisation de Médecins du Monde contre le prix du Sofosbuvir et l’acquisition du brevet par le laboratoire GILEAD.
Dans ce premier extrait elles décrivent les programmes de réduction des risques de Medecins du Monde à l’international et d’accès aux médicaments.
Début enregistrement
Céline Grillon : Médecins du monde travaille déjà depuis plusieurs années sur un plaidoyer pour améliorer l’accès au traitement contre l’hépatite C sur ses programmes à l’internationale. On a plusieurs programmes de réduction des risques. Notamment en Géorgie, en Birmanie, au Vietnam, en Tanzanie et au Kenya où on fait de la réduction des risques auprès des usagers de drogues et on se rend compte que parmi nos files actives, on a beaucoup de patients atteints de l’hépatite C et qu’on n’a pas les moyens de les soigner parce qu’il n’y a pas de programmes nationaux de lutte contre l’hépatite C qui existe dans les pays et principalement aussi parce que les traitements coûtent très cher.
Fin enregistrement
Joëlle : Arrive le Sofosbuvir en 2014, une nouvelle molécule plus efficace contre le traitement de l’hépatite C. Une commission d’expert est nommée par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, afin d’émettre des recommandations de prise en charge des patients, et le prix du Sofosbuvir est fixé par le laboratoire. Elles reviennent dans cet extrait sur la sortie du Sofosbuvir et les recommandations du rapport d’expert pour la prise en charge des malades de l’hépatite C.
Début enregistrement
Céline Grillon : Ce qui s’est passé c’est qu’en France, à partir de 2014 arrivent le Sofosbuvir et les nouvelles générations d’antiviraux à actions directes pour le traitement de l’hépatite C, qui sont des traitements beaucoup mieux tolérés, plus courts et avec des taux de réussite beaucoup plus importants qu’avec les anciens traitements, mais à des prix qui sont beaucoup trop élevés pour qu’on puisse garantir l’accès de tous les patients même dans un pays comme la France qui a un budget médicament important et c’est la première fois en France qu’on rationne comme ça un traitement curatif.
La première étape ça a été le rapport de recommandations d’expert, mandaté par le ministère de la Santé auquel Médecins du monde et d’autres associations ont également participé, qui recommandait et là-dessus on est tout à fait d’accord, de prioriser l’accès aux nouveaux traitements pour les personnes à un stade plus avancé de la maladie, stade de fibrose F2, F3, F4 et au-delà, complications aussi extra hépatiques mais également quelque soit le dégré de fibrose, en priorité, les personnes co-infectées, les femmes en désir de grossesse et les populations vulnérables notamment les usagers de drogues et les prisonniers.
Peu après, la Haute Autorité de Santé sort ses recommandations qui vont être la base officielle du remboursement par la sécurité sociale des nouveaux traitements, qui restreint les critères d’accès aux nouveaux traitements en priorité parce que, pour rappel, les recommandations du rapport d’expert c’était sélectionner les patients qui vont avoir accès en priorité aux nouveaux traitements mais dans un deuxième temps c’est aussi traiter toutes les personnes qui sont atteintes d’une hépatite C chronique avec la perspective d’éradication de la maladie de l’hépatite C.
Fin de l’enregistrement.
Joëlle : Céline Grillon et Marie-Dominique Pauty rendent compte de la reaction de médecins du monde après les recommandations officielles pour la prise en charge des patients par la HAS, la Haute autorité de sante, et leurs premières actions afin de mettre en place une licence obligatoire.
Début de l’enregistrement.
Céline Grillon : On a été assez choqué et révoltés de voir des recommandations de la Haute Autorité de Santé qui ne suivent pas les recommandations des experts en santé publique pour des raisons qu’on connaît, c’est le prix du traitement notamment. C’est quand même une raison principale. Donc le premier prix qui a été connu, le prix aux États-Unis, sur un marché où il n’y a pas de régulation par l’État du prix du médicament, mais le laboratoire fixe son prix, seul, unilatéralement. 84 000 dollars pour un traitement de 3 mois sachant que le Sofosbuvir en combinaison avec d’autres traitements, on est sur des durées de traitement de 3 à 6 mois. En France, le premier prix connu pour le Sofosbuvir c’est le prix de la molécule en ATU.
Marie-Dominique Pauty : Pour le Sofosbuvir, c’était 56 000 euros pour une cure de 3 mois, en ATU.
Céline Grillon : Ensuite, on passe pendant ce temps-là par le processus de négociation entre le laboratoire qui vend le médicament et le CEPS (Comité économique des produits de santé) qui arrive à un prix final et la différence entre le prix dans le cadre de l’ATU et le prix final est reversé par le laboratoire à la sécurité sociale.
Marie-Dominique Pauty : Le prix final est de 41 000 euros, donc ça fait 15 000 euros par cure de 3 mois qui sont remboursés.
Céline Grillon : Donc nous, on voit arriver ce médicament. On voit les prix qui sont affichés, donc le prix aux Etats-Unis, le prix dans le cadre de l’ATU en France. On a un nouveau médicament qui est beaucoup plus efficace et mieux toléré. On a des recommandations officielles qui, parce que le traitement coute trop cher, restreignent les critères d’accès, par rapport aux recommandations des acteurs de santé publique, des experts de santé publique. C’est une situation nouvelle en France. C’est en revanche une situation qu’on connaît déjà, dans les pays à revenus faibles intermédiaires, on a une pandémie VIH très importante, on n’a pas les ressources pour payer les médicaments. C’est l’arrivée des versions génériques qui ont permis de faire chuter les prix jusqu’à dans les 100 dollars, pour une trithérapie par an par patients qui ont permis d’améliorer considérablement l’accès, de faire la mise à l’échelle du traitement.
Fin de l’enregistrement.
Joëlle : Dans le prochain extrait Céline Grillon et Marie-Dominique Pauty décrivent comment Médecins du monde en est venu à s’opposer au brevet du Sofosbuvir et les deux moyens que défend MDM dans la demande d’annulation du brevet de GILEAD devant l’office européen des brevets.
Début de l’enregistrement.
Céline Grillon : La structure chimique du Sofosbuvir ne répond pas aux critères de brevetabilité qui sont la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle et principalement nous, on considère qu’il n’y a pas d’activité inventive au niveau scientifique et pas thérapeutique de la molécule Sofosbuvir. Ce qu’on conteste également sur le brevet du Sofosbuvir c’est que l’entreprise qui a breveté le Sofosbuvir initialement la fait sans connaître l’activité antivirale, a breveté de manière intuitive un ensemble, un champ entier de la recherche pharmaceutique sur les analogues de nucléoside et n’est arrivé qu’au premier résultat concernant l’activité antivirale du Sofosbuvir que plus tard, et nous on rappelle le brevet est là pour récompenser une invention réalisée et pas pour se réserver des domaines de recherche avec l’idée que peut-être, une des choses qu’on a brevetées va fonctionner.
Fin enregistrement.
Joëlle : Marie-Dominique Pauty explique dans ce dernier extrait les actions futures de Médecins du Monde afin de lutter pour une meilleure transparence dans la fixation du prix des médicaments.
Début enregistrement.
Marie-Dominique Pauty : En fait c’est l’occasion pour nous en France d’ouvrir vraiment un débat public sur le mode de fixation du prix des médicaments et pas que le Sofosbuvir. C’est tout un tas d’autres médicaments qui vont arriver sur le marché et qui pourront l’être à des prix aussi élevés. Ça peut être le cas dans tout ce qui est prise en charge thérapeutique des cancers par exemple. Donc là le Sofosbuvir c’est un cas emblématique mais nous on veut ouvrir ce débat de façon beaucoup plus générale, sur le mode fixation des prix et justement sur les modèles alternatifs au brevet dont on vient de parler pour financer la recherche, le développement de toutes ces nouvelles thérapeutiques. On demande aussi en interassociatif, tout ça, c’est un travail qu’on va continuer en interassociatif encore, c’est vraiment très important de travailler tous ensemble, comme je vous ai dit, le collectif hépatite virale, le TRT5, le COMEDE, Aides, SOS Hépatites, etc. on va travailler tous ensemble là-dessus, on y travaille déjà et par ailleurs on demande aussi la représentation des associations de patients par exemple ou d’associations de lutte contre les inégalités de santé au sein d’organismes, notamment le comité économique des produits de santé dont Céline vous a parlé, va se négocier avec le laboratoire le prix du médicament mais aussi on demande aussi à pouvoir être représenté au niveau de la Haute Autorité de Santé, notamment au niveau de la commission de transparence où là aussi va être décidé si un médicament à un service médical rendu ou une amélioration d’un service médical rendu par rapport à d’autres médicaments et où là va aussi être fixé entre autres une fois, s’il y a réellement un service médical rendu aux améliorations du service, le taux de remboursement de ce médicament par la sécurité sociale. On continue le combat pour avoir ce débat public en France. C’est quand même une première parce qu’à notre connaissance, c’est un débat qu’on a du mal à mettre effectivement dans l’espace public, la fixation du prix des médicaments, c’est très nébuleux pour les gens qui ne sont pas dans ces commissions etc. on ne sait pas comment ça se passe donc on demande de la transparence.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Merci Joëlle pour ce reportage, le débat est aussi ouvert sur le site comitedesfamilles.net. N’hésitez pas à réagir et nous lirons vos messages dans les prochaines émissions.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
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