
Alexandre : La COP21, c’est en ce moment même, le grand rendez-vous écologique du moment, et ça a lieu exactement pendant la période de l’année où l’on se rappelle que le VIH existe. Quand je dis on, je parle des médias généralistes et de la population dans sa majorité, sans critique aucune. La question que “Le Monde” s’est posé à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le SIDA, c’est, est-ce qu’il y a une compétition, entre la lutte contre le SIDA d’un côté, et les priorités du climat de l’autre.
Le SIDA, c’est 15 ans de lutte. Le climat, l’idée de combat commence tout juste à émerger. Ainsi, aux 15 millions de personnes sous traitement dans le monde, s’ajoutent les 20 millions qui n’ont rien, seulement leur volonté pour survivre avec la maladie. Et pourtant, en 2015, les contributions financières à la lutte contre le SIDA sont moindres, puisqu’il commence à pondre d’autres priorités. “Le Monde” cite deux exemples les plus frappants, Ebola, et le changement climatique. Dans la société actuelle, vous l’aurez compris, la lutte contre un mal est une question économique plus que tout autre.
Comment faire alors pour gérer le même problème, voire plus de patients malades, avec moins de ressources ? La question de la lutte contre le SIDA est donc dans l’amélioration de la productivité, de l’efficacité, au détriment de la construction de nouvelles infrastructures, de santé, par exemple.
Cela peut commencer, par exemple, par l’espacement des visites, mis en place de manière trop isolée en Afrique. Au lieu d’aller chercher ses médicaments tous les mois, les patients stables peuvent venir tous les trois mois, ce qui permettrait une réduction des coûts de 20% et un gain de temps.
Il y a la stratégie de la différenciation, aussi. Permettre à des communautés villageoises de délivrer les médicaments aux patients les plus stables, plutôt que de s’appuyer sur des professionnels de santé. Cette mesure est déployée en Afrique et permet de réduire les coûts de 20%, c’est 750 millions de dollars qui peuvent ainsi être réinvestis pour traiter d’autres patients.
Ces deux moyens peuvent permettre, s‘ils sont mis en place non plus de manière isolée, mais généralisée, d’optimiser les fonds de la lutte contre le SIDA, qui, avec les nouveaux enjeux économiques, écologiques, commencent à décroître.
Climat et VIH, climat et plus généralement, santé, voilà donc une première approche de l’influence du réchauffement climatique dans l’évolution des maladies. Mais il y en a d’autres, des approches.
Membre du Conseil d’Administration de la Croix-Rouge française, docteur en médecine, professeur de maladies infectieuses et tropicales à l’université Pierre et Marie Curie (Paris VI), consultant, ex-chef de service à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris et ancien chef de pôle infection, inflammation, immunité. Clinicien, spécialisé en maladies infectieuses, il a travaillé notamment sur les anti-infectieux, l’infection à VIH, le paludisme et actuellement la prise en charge des infections émergentes. Son CV, sur le site de la Croix Rouge, comme vous pouvez l’entendre, est chargé. C’est avec grand plaisir que nous accueillons aujourd’hui, François Bricaire. Bonjour.
François Bricaire : Merci, merci beaucoup.
Alexandre : Alors j’ai une première question un peu générale, avec le changement climatique, quelles seront les maladies les plus impactées, à court et à long terme ?
François Bricaire : Peut-être pour bien comprendre, il faut rappeler que les maladies infectieuses, on ne le sait pas toujours, parce que ça n’est pas une spécialité qui est finalement bien connue et définie. C’est toutes les maladies qui sont provoquées par ce qu’on appelle des agents infectieux, c’est-à-dire les bactéries, les virus, mais aussi les parasites, et même parfois les champignons. Tout cela, ça attaque l’organisme humain, et l’homme exprime ça par une maladie infectieuse. Et c’est ça qu’on est chargé de combattre. Or les agents infectieux, ils sont d’abord présents chez des animaux, ils sont présents dans la nature, et ils sont sensibles dans leur multiplication, à la température, à l’humidité, bref on est complètement dans le climat. Et si le climat se modifie, à ce moment-là, il peut y avoir des modifications du règne animal, donc des agents infectieux, de tout ce qui peut transmettre les maladies infectieuses comme les moustiques, des tas d’agents qui vous piquent, qui vous mordent, etc. Et qui peuvent vous transmettre des maladies infectieuses. Donc on voit bien qu’on est complètement, avec les maladies infectieuses et le climat, dans les modifications et ce qu’on a évoqué avec ce qui est débattu à la COP21. Alors, les maladies qui peuvent changer, on le comprend très bien, c’est celles qui sont directement dépendantes du climat, en plus, le réchauffement, en moins, éventuellement, des modifications de l’hydratation, de l’humidité, et le meilleur exemple, il est le plus classique mais on peut commencer par lui, c’est le paludisme.
Alors, le paludisme, il est transmis par des moustiques, ces moustiques peuvent augmenter du fait de l’humidité et du fait des zones inondées, et du fait de l’augmentation de la température. Et donc on imagine très bien qu’il va y avoir des zones géographiques où il y a déjà peut-être du paludisme et où ça peut augmenter, voire des zones géographiques qui étaient peu concernées et qui pourraient devenir concernées. Il y a aussi, du fait de l’augmentation de la température et donc de la sécheresse potentielle dans certaines autres régions géographiques une diminution du paludisme. Donc là, cette fois-ci, on va voir diminué, je pense à des zones du Sael, par exemple, dans l’Afrique, et bien il n’est pas exclu qu’on ait une réduction des zones du paludisme.
Mohamed : Je voulais savoir si c’était des moustiques d’eau, concernant le paludisme, si c’est pour la sécheresse ou des températures vraiment qui descendent, est-ce que c’est des moustiques d’eau qui transmettent ça, ou est-ce que c’est des moustiques de savane ou…
François Bricaire : Non non, alors, les moustiques, ils ont besoin d’eau hein. Pour se développer, pour se multiplier, pour éclore, ils ont besoin d’eau. Donc s’il y a de l’eau, il y a une possibilité d’augmentation du paludisme si la température est là, mais globalement, pour répondre à votre question, oui, ce sont des moustiques qui sont dépendant de l’eau. S’il n’y a plus d’eau, il n’y a plus de moustiques, et on a la disparition à ce moment-là dans cette zone du risque de l’infection.
Mohamed : Justement la question que je me pose, c’est comment se fait-il que depuis le temps, ça n’ait pas été éradiqué ? Contrairement à d’autres maladies décrétées en Afrique, potentiellement dangereuses, la maladie du paludisme je trouve qu’elle perdure.
François Bricaire : Vous avez complètement raison, ça fait très longtemps qu’on voudrait bien éradiquer le paludisme.
Mohamed : Je ne sais pas, ou on enlève les moustiques, ou on remet de l’eau, ou on remet un peu plus de chaleur, on fait quelque chose !
François Bricaire : Cela a été essayé, d’enlever les moustiques ! Cela a été essayé, et malheureusement, ce sont des échecs parce que les moustiques apprennent à résister aux substances. Et puis alors deuxièmement, et là on est complètement dans l’écologie, c’est que quand on utilise des substances pour tuer les larves de moustiques, les trucs comme ça, c’est des toxiques ! C’est des produits toxiques ! Alors on peut diminuer effectivement le risque de transmission du paludisme, mais par ailleurs, on augmente le risque de toxicité dans une zone géographique pour la population, pour les animaux, pour les végétaux, etc. Donc vous voyez, c’est très compliqué, c’est pour ça que ça ne marche pas. Mais il faut dire quand même que grâce aux nouveaux médicaments, et que ces médicaments peuvent être donnés de plus en plus à des pays comme l’Afrique, ce qui n’est pas simple, hein, vous l’avez évoqué pour le VIH mais c’est vrai aussi pour le paludisme, on a moins de paludisme qu’avant.
Mohamed : Oui, j’ai vu qu’ils avaient fait des progrès par rapport à ça en Afrique, il y a des régions où le paludisme a stagné, où il a régressé.
François Bricaire : C’est vrai.
Mohamed : Mais ils ne peuvent pas le donner à tout le monde.
François Bricaire : Non, ça n’est pas possible encore, donc on progressera, on va progresser, mais c’est vraiment très difficile, surtout que c’est l’une des maladies infectieuses les plus répandues dans le monde. Vous savez, il y a trois priorités pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qu’on répète régulièrement et qui sont les trois objectifs principaux : 1 – le paludisme ; 2 – le VIH ; 3 – la tuberculose.
Mohamed : Elle revient la tuberculose ?
François Bricaire : La tuberculose, il en revient, il y en a malheureusement de plus en plus pour deux raisons. L’existence du VIH qui facilite l’éclosion de la tuberculose, puisque quand on a le VIH, on se défend moins bien, et si on se défend moins bien, la tuberculose peut plus facilement nous attaquer.
Mohamed : C’est ce qu’on appelle les maladies opportunistes.
François Bricaire : Et deuxièmement, la pauvreté dans le monde. On est dans une période où malheureusement, la pauvreté ne fait que croître et embellir, on le voit bien, même les pays riches sont moins riches, la France hélas, est aussi dans cette situation, et donc par conséquent, il y a une augmentation.
Mohamed : Le mode de vie est plus difficile.
François Bricaire : On se défend moins bien ! Vous mangez moins bien, etc. Vous êtes dans des conditions de travail plus difficiles, des conditions sociales plus difficiles et crack, ça y est, la tuberculose en profite et on a plus de cas de tuberculose.
Mohamed : Mais je pensais qu’elle avait été éradiquée, moi.
François Bricaire : Pas du tout.
Mohamed : La tuberculose a fait un retour ? Parce qu’on n’en entend plus vraiment parler, avant la tuberculose c’était une maladie grave.
Sandra : Disons qu’on a les médicaments pour la traiter, la tuberculose, mais elle n’a jamais disparu, en fait.
François Bricaire : Elle n’a jamais disparu, on a des médicaments pour la traiter, mais il faut faire attention car il y a des bacilles tuberculeux, maintenant, qui deviennent résistants, eux aussi.
Mohamed : Comment ils appellent ça ?
François Bricaire : La mutation.
Mohamed : Ils s’adaptent.
François Bricaire : Il y a des pays comme en Europe de l’Est ou en ex-Union Soviétique, en Russie, où il y a des tuberculoses résistantes, et il y en a aussi en Afrique. C’est un problème qu’il faut surveiller. Alors heureusement il n’y en a pas encore de trop, mais il faut faire attention.
Mohamed : Oui, mais quand même.
Sandra : Alexandre ?
Alexandre : Est-ce qu’on peut penser à une globalisation des infections tropicales à cause du réchauffement climatique, notamment parce que vous l’avez dit, les conditions climatiques qui diffèrent et certains agents infectieux qui peuvent migrer vers d’autres continents ?
François Bricaire : Globalisation, je ne sais pas si c’est le terme qu’on peut utiliser, mais on est sur ces modifications en tout cas, qui peuvent exister. On a parlé du paludisme, hein, alors il y a d’autres maladies parasitaires qui peuvent se développer. Soit, encore une fois, en plus, parce qu’il y aura davantage de température extérieure, enfin, une température extérieure plus élevée, ou davantage d’eau, alors, on va citer des noms qui diront peut-être quelque chose à certains, mais, la bilharziose, par exemple, une maladie que l’on voit dans certains pays d’Afrique, qui se développe parce qu’il y a des petits coquillages qui transportent un parasite, et ce parasite va donner une maladie chez l’homme, très répandue en Afrique, et il n’y a pas qu’en Afrique, en Asie aussi, qui s’appelle la bilharziose. S’il y a davantage d’eau et de température élevée, davantage de coquillages, il y aura davantage de bilharziose. C’est un exemple. Cela donne des troubles qui peuvent être parfois assez sévères.
Mohamed : Mais ce n’est pas comestible ?
François Bricaire : Non, non, ça s’attrape, bon, c’est un peu compliqué, mais en mettant par exemple les pieds dans l’eau, là où il y a des coquillages en question avec le parasite, hop, ça y est, on est contaminé et on peut faire une maladie. On sait traiter ça aussi, mais encore faut-il avoir accès aux médicaments. Donc ça c’est l’exemple de la bilharziose. Je vais vous donner aussi un exemple, qui est très d’actualité. Lui, c’est l’inverse, c’est la sécheresse, le réchauffement, vraiment, c’est une autre maladie parasitaire qu’on appelle la leishmaniose. Alors ils ont des noms compliqués ! Mais la leishmaniose, et bien on en voit de plus en plus, en particulier au Moyen-Orient. Et avec tous les événements dramatiques qui sévissent en Syrie, en Irak, et bien on a une augmentation considérable, et c’est souvent d’ailleurs des militaires, c’étaient des militaires américains qui ont fait des leishmanioses. Il faut savoir que même en France, il y a de la leishmaniose, qui était considérée comme tout à fait accessoire, alors c’est vrai que ça reste tout à fait accessoire. Soyons sérieux, c’est très très peu. Mais on savait par exemple qu’à côté de Toulon, il y avait des foyers. Et bien maintenant, on sait que non seulement il y a un foyer à côté de Toulon, mais il y en a d’autres. Dans les Sévènes, et dans toute une région beaucoup plus large qu’il y a quelques années.
Et puis alors, je vais répondre à votre question, Mohamed, puisque vous avez évoqué quelque chose de très important sur la contamination potentielle par l’eau. L’eau potable. Si l’augmentation du niveau de l’eau se fait, s’il y a des zones inondables, il va y avoir des eaux beaucoup plus facilement souillées. Avec des germes dedans, des colibacilles, etc. Donc un risque de diarrhées infectieuses, de gastro-entérites, et c’est vrai que si l’eau n’est pas parfaitement purifiée, rendue potable, c’est ce que ça veut dire, il y a des risques, et il y a d’autant plus de risques que les sujets sont fragiles. Un individu qui est sain, déjà, s’il boit de l’eau contaminée, il est quasiment sûr d’avoir de la diarrhée le lendemain, mais alors si on est malade parce qu’on est fragile…
Mohamed : Les enfants surtout, les adultes supportent un peu mieux, mais les enfants, ils avalent toujours un peu de sable, un peu de boue, dans les eaux souillées.
François Bricaire : Ils sont plus fragiles, et donc ils vont être malades. Un sujet qui est séropositif non-traité sera davantage fragile et risque davantage d’attraper ces maladies digestives, des diarrhées infectieuses.
Karim : Pour information, on parlait du paludisme, c’est toujours la quinine, qu’on utilise ou il y a des nouveaux traitements ?
François Bricaire : La quinine était le traitement de base, de référence, comme on dit, depuis des années. Et depuis quelques temps, la quinine reste toujours valable, très bon traitement, mais on a trouvé mieux. Et on a trouvé mieux à partir d’une plante, alors là on est encore dans l’écologie, une plante chinoise, ce sont les chinois qui ont trouvé, ce qu’on appelle l’artémisinine, c’est le nom de la plante, et à partir de cette plante chinoise, on a trouvé des dérivés qui sont extrêmement actifs contre le paludisme. Et c’est tellement actif qu’aujourd’hui, dans les formes sévères de paludisme, quand il y a une forme grave, ce qui arrive de temps en temps, et bien on traite maintenant, non plus avec la quinine comme avant, mais avec ce dérivé de l’artémisinine, qu’on appelle l’artésunate dans le jargon pharmacologique.
Transcription : Alexandre Bordes
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