Sandra : Nous allons maintenant parler des pilules bleues. C’est un film qui s’appelle comme ça, tiré d’une BD et Eve tout à l’heure vous m’avez dit que cette BD vous la connaissez, vous l’avez lu. Quand avez-vous pensé ?
Eve Plenel : C’est un des plus beaux textes qui a été écrit sur vivre avec le VIH au sein d’un couple. C’est une bande dessinée qui est assez ancienne, qui a été écrite au début des années 2000. Elle a plus de 10 ans par un Suisse, un auteur de bande dessinée suisse qui raconte, pour faire simple, sa passion amoureuse et sa vie avec une femme qui vit avec le VIH.
Sandra : C’est ça, c’est l’histoire d’un couple sérodifférent et donc l’histoire tourne autour de l’annonce. D’abord la femme séropositive qui annonce à son partenaire, après le partenaire qui va annoncer ça à ses amis, puis l’annonce aux parents, l’annonce à l’enfant aussi puisque la femme à un enfant qui est contaminé par le VIH. Vient la problématique de faire un bébé sans contaminer le bébé et le partenaire et voilà. Un très beau film qu’on a vu, qui a été diffusé sur Arte. On a regardé ce film ensemble au Comité des familles et on a discuté après sur le thème de l’annonce, je vous propose d’écouter quelques réactions et on en parle après.
Début de l’enregistrement.
— Moi, c’est la façon dont les gens agissent parfois quand tu dois dire ça. Quand il l’a dit à sa mère, son père. Qu’il a rencontré la fille qui est séropositive et l’enfant aussi. Ils ont eu une réaction un peu, tu vois ? Un peu négative. Ils ne l’ont pas dit vraiment, ils ont dit de faire attention et ça bon, voilà. J’ai trouvé qu’ils avaient une réaction, bon c’est un film, mais même au niveau de ma famille, il y a eu ces réactions. Vous voyez ? Ca, je n’apprécie pas. Bien que maintenant, ça a évolué un peu.
— D’une façon générale, j’apprécie bien le film. Les acteurs ont bien joué. Quand on regarde dans la vie courante, pourquoi pas ? Quand on n’est pas dans une situation, on n’a pas forcément la bonne réaction face à cette situation. Donc, de ce point de vue, on peut être compréhensif, on peut être tolérant. Même si je n’ai pas bien apprécié la position des parents, mais je dirai qu’il y a des parents qui ont eu des positions pires qu’eux.
— Ah bah oui !
— Oui ! Quelque part, eux c’est encore acceptable. Moi d’une façon générale, je pense que les uns et les autres ont bien joué leur rôle.
— Je pense que si c’est une relation éphémère, ce n’est peut-être pas la peine de l’annoncer, mais si on compte aller vers une relation durable, de toute façon c’est préférable de l’annoncer, d’annoncer sa séropositivité. Prendre ses précautions si c’est une relation éphémère et ça suffit je pense. Moi, j’étais avec une personne séropositive donc je n’ai pas eu de souci.
— Moi, j’ai des amis, des copines, ils ont pris ça très mal. Ils ne me le disent pas, mais ils font un peu l’hypocrisie tu vois ? Donc, ils te disent ouais ouais sans plus, mais voilà, tu es un peu gêné quand même de le dire tu vois ? Même au travail aussi, certains endroits tu vois ? Tu es obligé de cacher ça, tu ne peux pas dire ça comme ça. Tu ne sais pas comment la personne va le prendre tu vois ? Même si tu veux avec une fille, tu es obligé de lui dire ça tu vois ? Tu es obligé d’annoncer ça. Tu ne peux pas cacher ça tout le temps tu comprends ? Dans le film, le couple est obligé de mettre un préservatif. À la fin du film, (ndlr on voit l’enfant grandir jusqu’à l’adolescence et sa première expérience au lit avec une fille) la fille lui demande si il ne la prend pour une pute parce qu’il a demandé à mettre un préservatif. Il ne voulait pas dire ça tu vois ?
— C’est le combat perpétuel. Dire aux gens, aux proches. Généralement parfois c’est les personnes les plus proches à qui on faisait confiance qui vont vous rejeter. Ce combat-là, il faut déjà l’assimiler n’est-ce pas ? On ne sait pas si c’est le vécu quotidien qui va convaincre les gens ou bien si les dires quotidiens. Je me dis que c’est peut-être ça qui est à revoir sur le mode de vie.
— Personnellement, pour l’annonce, moi j’ai un principe. Mon principe c’est d’être tranquille moi-même avec ma conscience. Point barre. Je m’en fous des réactions des gens autour de moi. Si je dis ma séropositivité, ça peut plaire, ça peut ne pas plaire. Mais moi au moins je reste avec moi-même. Mais la séropositivité, ça dépend quand vous le dites, comment vous le dites, dans quel cadre, si vous êtes en train de parler des poissons et que brusquement vous allez parler des animaux de la brousse, il n’y a aucun rapport. Il faut rester dans le sujet, il faut le dire bien à propos au bon moment pour que l’auditoire aussi soit un peu sensibilisé à cela. Mais pour ceux qui refusent, pour ceux qui n’acceptent pas, j’essaye de les comprendre. C’est comme les racistes aujourd’hui. Il y a des gens qui sont ministres de la République et des gens osent les insulter publiquement à cause de leur couleur de peau. Aujourd’hui ! Si vous voyez des choses comme ça, comment ne pas comprendre donc ce qui ne veulent pas des personnes séropositives ? Chacun est ce qu’il est. Comment comprendre qu’aujourd’hui on puisse être encore raciste ? Franchement !? Voilà. Encore un ministre de la République, qu’on l’insulte publiquement. Alors vous, séropositif, attendez, si quelqu’un, vous c’est un petit cas par rapport à ça. Est-ce que vous voyez ? Donc moi je dis tout dépend quelque part de nous-mêmes. Il faut que nous-mêmes on soit assez responsable. Qu’on soit content de nous-mêmes et qu’on vive notre vie tranquillement la tête haute. Le plus important c’est de bien faire ce que tu as à faire quand tu as à le faire, que ce soit ton lieu de travail, que ce soit n’importe où, ce que tu as à faire tu le fais le plus correctement possible. Et, dans mon cas, je souhaite être en accord avec ma conscience. Je ne veux pas mal me regarder demain dans le miroir parce que si tu commences à mentir aujourd’hui, demain tu es obligé de fabriquer une autre histoire, après demain une histoire et les choses se disent. Et parfois autour de toi en réalité même, les gens sont même au courant avant tu le dises en fait. Mais comme toi tu fais semblant de cacher, on t’aide aussi à cacher. Tu deviens le dindon de la farce ! Tout le monde autour de toi le sait et toi tu ne sais pas qu’ils le savent et puis etc. Donc si tu dis ta vérité au moins, tu es en accord avec ta conscience. Et puis toi, tu es tranquille. Et puis tu t’en fiches du regard des gens. Est-ce que j’ai volé ? Est-ce que j’ai tué ? Mais non, ce que j’ai à faire, je le fais correctement. C’est tout. Mais aujourd’hui, j’ai plein de cas. À une réunion, il y a une fille qui a témoigné. Elle est séropositive. Elle ne le dit pas. Une Française blanche, une jeune fille blanche. Elle est séropositive, elle ne le dit pas. Ce jour-là, elle dit qu’elle en parle parce qu’elle est dans le cadre d’une association, dans une réunion où elle sait qu’il n’y a pas de problème. Mais pourquoi elle ne le dit pas. Ce n’est pas à cause d’elle-même. À cause de son copain qui est instituteur dans une école. Elle dit que si jamais les gens savent que son copain vit avec une séropositive, beaucoup de gens iront retirer leurs enfants de l’école. Mais regarder des idées ! Mais et c’est vrai ! Ici en France, ça c’est vrai.
— Oui c’est vrai !
— Si des gens le savent, ils sont prêts à retirer leur enfant de l’école du garçon. Donc, pour protéger tout ce beau monde, elle préfère vivre dans le silence. Je connais deux personnes qui gardent des enfants à domicile. Deux dames d’un certain âge, séropositives. Mais elles le cachent. Elles disent que si jamais les gens le savaient, ils vont retirer leurs enfants. Mais en même temps, quel intérêt si quelqu’un vient me voir, c’est mon travail, je dois garder les enfants à domicile, quel intérêt j’ai à annoncer que je suis séropositif ? Franchement.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Petit aperçu de la discussion qu’on a eu. D’autres personnes ont participé, on était une dizaine de personnes, mais tout le monde n’a pas voulu prendre la parole à l’émission. On a parlé aussi après de l’annonce aux enfants. Certains n’étaient pas d’accord pour dire tout de suite à l’enfant d’autres si. On approche de la fin de l’émission, Nino je vais te donner la parole. Toi, l’annonce, comment tu gères ça ?
Nino : Alors mon avis c’est quoi ? L’annonce, je ne l’ai jamais fait à ma famille pour commencer. Personne de ma famille n’est au courant. Parce que vous savez, dans le milieu africain, c’est la catastrophe. Moi, pour annoncer à une copine, si c’est un truc d’une semaine, un truc sans future, je n’ai pas besoin d’annoncer. Je mets mon préservatif. Un point, un trait. Mais si c’est quelque chose de durable, il est bien vrai, ce n’est pas facile pour moi l’annonce Sandra. Si c’est quelque chose qui va pour le sérieux, ça va prendre du temps pour l’annoncer. Entre temps je vais utiliser la capote parce que franchement c’est très difficile l’annonce. On ne connait pas la réaction de la personne en face. Donc voilà, pour moi, c’est clair. Si c’est une relation sans lendemain, la capote.
Sandra : La discussion continue sur le site comitedesfamilles.net
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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