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22.07.2015

Pénalisation de la transmission sexuelle du VIH : les recommandations du Conseil National du Sida

Michel Celse, Sandra et Alexandre

Sandra : Vous écoutez Vivre avec le VIH et nous sommes avec Michel Celse, du Conseil National du SIDA (CNS), je vais vous demander de vous représenter à nouveau puisqu’il y a peut-être des auditeurs qui viennent juste d’arriver.

Michel Celse : Oui, Michel Celse, je suis conseiller expert auprès du Conseil National du SIDA (CNS) et entre temps des hépatites virales. Cela dit, l’avis dont on va parler, à propos de la pénalisation du VIH est avant cette extension des missions. Le CNS en un mot est un organisme public qui a pour mission de conseiller les pouvoirs publics, et par delà, l’ensemble des acteurs concernés sur les questions que l’épidémie de VIH/SIDA, et entre-temps des hépatites, pose à la société. Donc un champ très large, mais il s’agit de conseiller notamment les pouvoirs publics sur les politiques de lutte contre le SIDA.

Sandra : Très bien, Alexandre, c’est à toi.

Alexandre : La pénalisation de la transmission sexuelle du VIH, pourquoi avoir choisi ce thème ? C’est une question qui fait débat et qui se pose depuis le début des procédures, fin 90 en France, 98 exactement. D’après une enquête ANRS-Vespa 2 réalisée en 2011 ; sur 100 personnes vivant avec le VIH, un peu plus de 10 ont déjà songé à porter plainte, et plus d’une personne a fini par porter plainte. L’enquête estime donc à 2000 plaintes environ le nombre de plaintes engagées depuis le début de l’épidémie. 23 d’entre elles ont débouché sur un procès à la suite duquel le prévenu a toujours été condamné. Entre 1998 et 2007, il y a eu seulement 3 condamnations contre 20 entre 2008 et 2014. En moyenne on a donc 3 condamnations pour environ 7000 à 8000 nouvelles contaminations par an.

Le Conseil National du SIDA et des hépatites virales s’était penché une première fois sur la question de la pénalisation de la transmission sexuelle du VIH en 2006, elle s’en saisit à nouveau en 2015.

Avec nous aujourd’hui, Michel Celse, conseiller expert du CNS.

Ma première question, vous vous étiez déjà penché sur la question en 2006, pourquoi y revenir maintenant ?

Michel Celse : Pour plusieurs raisons. La première, vous avez évoqué cet avis que le CNS avait émis en 2006, or en 2006 c’était pour un très petit nombre d’affaires et essentiellement sur une grosse affaire qui avait défrayé la chronique en 2004-2005, parce que la première affaire en 1998-1999 en fait elle est passée totalement inaperçue à l’époque. Vous avez évoqué les chiffres, ce qui paraissait très exceptionnel en 2004-2005, qui avait profondément ébranlé le milieu de la lutte contre le SIDA et créé des controverses très fortes autour de cette question de la pénalisation opposant, un peu schématiquement mais opposant les associations traditionnelles de lutte contre le SIDA aux victimes qui avaient choisi d’aller en justice et aux associations, une en tout cas, de femmes victimes qui s’était constituées à l’époque en faveur de cette démarche judiciaire. Ce contexte a entre-temps profondément évolué puisque depuis, il y a eu en gros une vingtaine d’affaires jugées, que ces affaires sont jugées sur la base d’une jurisprudence qui entre-temps est tout à fait stable, que par ailleurs l’épidémie elle-même a considérablement évolué avec les progrès médicaux qui changent le vécu de la maladie et surtout la santé des personnes atteintes d’une part, et qui ont changé aussi les manières et stratégies pour se protéger, avec de nouveaux outils, la question des traitements, par exemple, et de l’effet préventif des traitements, donc beaucoup de choses qui ont évolué, et en même temps, en France tout au moins, il s’agit d’un phénomène extrêmement mal connu, parce que les chiffres qui ont été très bien rappelés par Alexandre, avant que l’on ne travaille au cours de l’automne 2014 et début 2015 sur cet avis, personne n’était en mesure de les donner. Il a fallu beaucoup travailler pour arriver à les établir tellement l’information était peu connue et dispersée, en l’absence de statistiques. Donc, on note quand même un très faible intérêt pour ces questions de la part de beaucoup d’acteurs depuis cette période 2004-2005, des débats assez figés dans les positions de l’époque, et c’est un contraste également très fort avec ce qui se passe au plan international où, cette question de la pénalisation, parce qu’elle augmente dans beaucoup de pays, un petit peu dans le monde entier, est vraiment à l’agenda d’un certain nombre de grandes organisations, des recommandations ont été émises par des agences de l’ONU, ONUSIDA en particulier, et dans certains pays il y a de fortes mobilisations. En France c’était un petit peu le calme plat, donc on avait vraiment envie de revenir sur ces questions-là, en voyant bien d’ailleurs les limites de l’avis de 2006 et de ces recommandations.

Alexandre : Donc il y a une nouvelle commission qui a été fondée pour pouvoir retraiter cette question, parlez-nous des objectifs, concrètement, à terme de cette commission.

Michel Celse : Dans le fonctionnement du Conseil, si vous voulez, une commission elle est créée pour travailler sur un sujet. C’est un certain nombre de membres qui décident d’investiguer ce sujet-là et qui proposent ensuite à l’ensemble du Conseil un projet d’avis et des recommandations qui sont ensuite discutées et adoptées par le Conseil, donc en tant que tel elle a terminé son travail. Les principaux objectifs de l’avis c’est donc de connaître et de comprendre le phénomène de la pénalisation en France dans ses différentes dimensions, c’est-à-dire à la fois la dimension juridique qui avait été totalement ignorée en 2006, dans ses conséquences sociétales, dans ses éventuelles conséquences sanitaires. Le second objectif, c’est par là de promouvoir à une réflexion, justement, renouvelée, impliquant les différents acteurs et personnes concernées, et on a essayé de contribuer à travers cet avis, à cette réflexion, en tentant de dépasser justement les oppositions très binaires entre partisans et adversaires du recours à la justice pénale telle que les positions s’étaient cristallisées autrefois. Enfin l’objectif d’un avis du CNS c’est évidemment d’émettre des recommandations, en l’occurrence nous avons dans cet avis émis des recommandations aux pouvoirs publics, aux différents acteurs de la lutte contre le SIDA et, en fait, à l’ensemble des personnes potentiellement concernées qu’on pourrait définir comme l’ensemble de la population sexuellement active. Ces recommandations, elles ont en gros trois objectifs. Le premier, c’est de réduire le risque pénal encouru par les personnes vivant avec le VIH, le second, c’est d’améliorer le traitement pénal de l’infraction dans les cas où une procédure judiciaire a été engagée, et enfin de limiter les éventuels effets négatifs de la pénalisation sur la politique de prévention.

Sandra : On va peut-être rentrer dans le concret ? Je ne sais pas si c’est ce que tu avais prévu, voilà maintenant, aujourd’hui comment ça se passe, je suis séropositif, je vais avoir une relation sexuelle avec une personne séronégative…

Alexandre : À partir de quand suis-je dans la légalité ou l’illégalité ?

Sandra : Voilà, est-ce que si je fais l’amour avec un préservatif et que je n’annonce pas, est-ce que je risque quelque chose pénalement ?

Michel Celse : Si vous utilisez systématiquement le préservatif, non. Vous ne risquez rien. Après ça, la question de dire ou de ne pas dire ne joue finalement pas grand rôle sur un plan juridique en France. Mais ce n’est pas le cas dans un certain nombre de pays. Il y a des pays pour lesquels il y a une obligation, comme au Canada, de déclarer son statut sérologique, s’il est positif, avant toute relation sexuelle. Et l’on peut être condamné dans ces pays-là, pour n’avoir pas déclaré son statut sérologique, même s’il n’y a pas eu de contamination. Il y a des condamnations prononcées.

Donc en France en fait, simplement pour comprendre, la base de l’incrimination qui est utilisée pour qualifier une infraction, c’est celle de l’article 222-15 du Code pénal, de l’Administration de Substance Nuisible (ASN) ayant entraîné une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui. Alors, cette ASN, effectivement, la première réponse à ça dans le terme, c’est qu’il faut une administration et une substance nuisible. En l’occurrence on pense tout de suite au sperme contaminé ou aux sécrétions vaginales contaminées. Et donc un préservatif est une protection qui évite cette administration et qui évite de tomber sous le coup d’une telle incrimination. Pour autant, il faut avoir en tête plusieurs limites. Je vais peut-être me contenter sans rentrer trop dans le détail juridique parce que ça pourrait être très long, d’un certain nombre de messages clés. C’est-à-dire tout d’abord que, par relations sexuelles, il ne faut pas seulement entendre des pénétrations vaginales ou anales, c’est évidemment la majorité des cas et dans les affaires c’est ça qu’on voit, mais on voit à la marge aussi que finalement, une fellation non protégée par le préservatif peut tout à fait tomber sous le coup de cette législation. Donc ça c’est un premier point. Le second, c’est qu’effectivement, dans toutes les affaires qui ont été jugées et dans lesquelles il y a eu condamnation, il y avait eu contamination d’une ou plusieurs partenaires. Cela dit, dans certains cas, des victimes qui n’avaient pas été contaminées de façon incidente, donc, au cas de contamination, ont été reconnues dans leur plainte également, et il y a eu condamnation aussi pour exposition simple, c’est-à-dire exposition sans transmission. Cela n’est pas exclu, dans ce cas-là, ce n’est pas l’atteinte à l’intégrité physique, à savoir l’infection par le VIH, qui est retenue, mais l’atteinte à l’intégrité psychique en raison du choc éprouvé par la victime quand elle a su, rétrospectivement, à quel risque elle était exposée. Alors c’est actuellement, dans les affaires, tout à fait marginal, il n’y a que deux cas, et dans des affaires où il y avait par ailleurs contamination sur au moins une des victimes, et des affaires, on va dire pour faire simple, assez graves, mais cette possibilité-là existe. Elle est évidemment, en terme de peine, moins élevée, mais elle existe.
Deuxième point à souligner, le message principal, c’est que toute relation sexuelle non protégée entre partenaires sérodifférents engage potentiellement la responsabilité pénale de la personne séropositive. Toute relation non protégée.

La question qui a été évoquée, c’est celle de “savoir, ne pas savoir”, pour le partenaire. Alors c’est vrai que dans la plupart des cas, dans presque tous les cas, si une personne porte plainte, c’est souvent, c’est toujours parce qu’elle a l’idée qu’elle a été trahie. Donc cette question d’avoir dévoilé, d’avoir dit ou pas sa séropositivité est bien évidemment centrale en pratique. Mais en droit, ça n’est pas là le point, ça n’est pas là l’essentiel. En droit en fait, même s’il y a transmission vers un partenaire qui savait la séropositivité de l’auteur, qui a consenti à des relations sexuelles non protégées, d’une certaine manière pour la justice ça ne change rien quant au fait que l’infraction est commise. Ce que ça change par contre c’est qu’entre savoir et consentir, ne pas savoir, rien n’a été dit, rien n’a été discuté, et ça se passe, ou encore, troisième cas de figure, l’auteur de l’infraction, a menti, par omission ou activement. Voire a utilisé des stratagèmes de type produire un faux certificat indiquant une séronégativité. On voit bien qu’il y a différents degrés dans la conscience ou l’intentionnalité de l’acte. Donc, dans tous ces cas-là, l’intention, elle existe, et elle est punissable. Par contre ça va jouer plutôt à ce moment-là, sur la fixation de la peine. C’est-à-dire, normalement, le tribunal va estimer la gravité en fonction de ça et donner une peine onner une peine plus ou moins élevée.

Sandra : Alors des réactions peut-être de la part de Yann et José ? Moi j’en ai une en tout cas.

Yann : Immédiatement il me vient en tête moi que la personne séropositive est toujours coupable du coup.

Sandra : C’est cela, je trouve ça dégueulasse.

Yann : C’est un peu ça en fait. C’est-à-dire que même si on l’annonce on peut quand même être attaqué, même si le partenaire a choisi. Parce que nous ça nous touche beaucoup étant donné qu’on lance beaucoup l’appel comme quoi un séropositif, je le répète encore, qui a une charge virale indétectable, qui est bien suivi, qui n’a pas de MST et qui, d’après tous les grands pontes, n’est plus contaminant, ou quasiment plus, voilà, la difficulté, c’est comment faire passer ce message ?

Michel Celse : Alors, il y a deux questions en une. Le premier point c’est oui, effectivement, d’un point de vue juridique, dans le raisonnement judiciaire, le partenaire séropositif et le partenaire séronégatif ne sont pas du tout dans une position symétrique. Et clairement, la responsabilité est du côté du partenaire séropositif. La responsabilité pénale ne se partage pas. Après, il y a une autre question dans votre réaction, qui est celle notamment de la protection qu’apporte le traitement. C’est-à-dire que quelqu’un, comme vous l’avez rappelé, quelqu’un qui est sous traitement efficace, stabilisé, en charge virale indétectable depuis longtemps, a priori ne transmet pas effectivement. Et d’ailleurs, j’ai quand même envie de dire, il y a tellement peu de chances que ça se produise qu’il y a très peu de chances qu’il y ait plaintes derrière puisqu’il n’y aura pas eu de transmission. On peut commencer par voir ça comme ça. Cela dit là aussi, le risque zéro là non plus n’existe pas, et ça pourrait arriver. Or pour l’instant on ne sait pas comment la justice jugerait ce cas de figure là. On ne le sait pas parce que ça n’est jamais arrivé. Dans l’étude des différents procès à laquelle on a procédé, je vois bien comment dans une affaire, bizarrement, cette question-là n’a pas été soulevée alors qu’elle aurait sans doute dû l’être, mais de fait elle ne l’a pas été. Chaque affaire est très particulière dans un contexte très particulier, et là aussi c’est une question de qualité de la défense de la personne mise en cause hein, bien entendu, qui va soulever ou pas un certain nombre d’objections pertinentes. Cela dit, on ne sait pas, et ayant consulté un certain nombre de juristes, ce qu’on peut dire en toute certitude aujourd’hui, c’est que la protection par le préservatif, elle va être reconnue, un accident de préservatif a des chances de ne pas poser de problèmes, si j’ose dire, parce que c’est un aléas. L’échec du traitement, certains juristes considèrent que c’est beaucoup plus compliqué, pour des raisons que je ne vais peut-être pas développer, mais ça a un lien avec la définition qui est sur la base de l’administration d’une substance nuisible, or là avec le préservatif il y a l’idée d’une barrière physique, il n’y a pas administration, il n’y a pas de mise en contact avec la substance alors que dans l’autre cas…
Donc un certain nombre de juristes disent qu’il se pourrait, si le cas se présente, que ce soit considéré, comme un échec du traitement, comme quelque chose de non exonératoire de la responsabilité. On ne sait pas. On ne sait pas, donc il y a une incertitude, il y a un risque qui est lié à ça, et c’est pour nous d’ailleurs une des inquiétudes qu’on a fortement formulées dans cet avis, appelant de ce point de vue-là, l’ensemble des acteurs et les magistrats à réfléchir à cette question-là qui serait une vision très très étroite.

Yann : C’est plus que délicat parce que punir quelqu’un qui, sciemment, transmet, ça me parait absolument évident, on a eu des cas comme ça de personne qui ont transmis le VIH en le sachant à des dizaines et des dizaines de femmes. Donc ceux-là, effectivement, je crois qu’il faut les stopper, on ne peut pas leur couper le zizi, mais voilà, l’idée c’est quand même que ces personnes-là ne puissent plus agir après. Je pense aussi à toutes les faces d’une procédure, et d’un envie de gagner de l’argent, enfin, dans l’humain il y a toutes ces vilaines choses aussi, donc…

Michel Celse : Bien sûr, bien sûr. Enfin, sur le côté gagner de l’argent, il faut quand même être prudent, effectivement il y a des indemnisations qui peuvent être prononcées, qui peuvent être assez conséquentes, on l’a vu dans certaines affaires, mais ça avec en face en général quelqu’un qui est insolvable hein, donc vu les montants… Je pense qu’il ne faut pas réduire la motivation des gens qui portent plainte, et quand on voit les affaires, je pense que ça interroge beaucoup plus une forme d’échec de la prévention en direction de la population générale et de gens qui se pensaient très éloignés de la question du VIH et qui ne se sont pas posé les bonnes questions au bon moment. Après c’est surtout des questions sur la confiance, mais la grande majorité des affaires, ce sont des affaires qui se passent dans, on va dire simplement, des couples. Plus ou moins longue durée, plus ou moins stable, mais globalement, en tout cas au sein de relation dans laquelle du point de vue de la victime il s’agit d’une relation de couple dans laquelle la confiance, du coup, a été rompue.

Alexandre : Actuellement, qu’est-ce que risque, concrètement, une personne condamnée pour avoir infecté quelqu’un ?

Michel Celse : Alors, ça dépend de plusieurs choses. On est bien dans le cadre où il y a eu transmission. Disons qu’à la base, cette transmission elle va être considérée comme une ASN, ayant entraîné une atteinte à l’intégrité physique, et en l’occurrence, cette atteinte à l’intégrité physique, elle va être vue comme, sur la base d’un autre article du Code pénal, une violence (volontaire) ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. En l’occurrence c’est plutôt la notion d’infirmité permanente qui est ici retenue en raison du caractère irréversible jusqu’à ce jour de l’infection et de la nécessité de prendre des traitements à vie, etc. C’est un délit qui peut être condamné jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, donc ça relève du tribunal correctionnel, et, éventuellement, de 150 000 euros d’amende. Il y a des cas où des circonstances aggravantes vont faire basculer cette qualification délictueuse en qualification criminelle, c’est-à-dire, on passe au-dessus des 10 ans encourus, on passe à 15 ans.

Alexandre : La récidive, par exemple ?

Michel Celse : Alors, la récidive, vous avez raison mais c’est encore un autre mécanisme qui double les peines encourues. Mais les circonstances aggravantes, alors il y en a plusieurs prévues, il y a notamment des circonstances liées à la qualité de la victime, si la victime est conjointe, partenaire d’un pacs, reconnue comme concubin de l’auteur, ça c’est une circonstance aggravante. Une autre peut être la préméditation qui, alors là, est un champ compliqué aussi, ce qu’on entend par préméditation là-dedans mais qui a été retenu dans certains cas, et dans ce cas-là, on est aux assises, avec une peine encourue de quinze ans.

Alexandre : On note une naissance des procédures pour contamination au VIH, mais par contre la contamination aux autres maladies comme le VHC, il n’y a absolument rien.

Michel Celse : Alors ça, c’est une excellente question parce qu’il ne faut pas imaginer que cette pénalisation, en France, je dis bien, repose sur une loi spécifique. Ce n’est pas du tout une loi spécifique au VIH, c’est même à l’origine une vieille loi qui date du 19ème siècle qui était une sorte de forme atténuée de l’empoisonnement mais sans la volonté de tuer. Parce que dans l’empoisonnement, il faut vraiment qu’il y ait une intention d’homicide, c’est pour ça que l’empoisonnement est écarté. Mais c’est un article qui est peu utilisé, qui est effectivement et notamment utilisé dans la cadre du VIH mais qui pourrait très bien servir pour d’autres pathologies transmissibles dont notamment le VHC, pourquoi pas le VHB. Cela tient par le fait que des gens ont porté plainte dans le cas du VIH alors que personne n’a songé à porter plainte avec d’autres pathologies. Donc là, ce n’est pas un effet de la loi, c’est un effet des perceptions des différentes maladies qui fait que des gens vont se sentir victimes et aller demander réparation en justice, ce qui est un droit fondamental de tout citoyen, quand face à d’autres maladies ils ne vont pas du tout avoir le même raisonnement. Donc ça touche vraiment aux représentations sociales, aux constructions sociales du VIH et à la manière dont la maladie est perçue, vécue, et les discriminations qui sont liées, etc.

José : Comment prouver que c’est quelqu’un qui a contaminé l’autre ?

Michel Celse : Alors, ça c’est vraiment une très bonne question, et c’est l’un des points sur lesquels il faut toujours s’interroger, sur la qualité des procédures. C’est effectivement très compliqué de déterminer le sens de la contamination. Cela dit il peut y avoir toute sorte d’éléments et c’est vraiment compliqué de dire ça de façon générale. Souvent on entend parler des tests phylogénétiques, qui essaient de comparer les souches virales chez une personne et chez l’autre pour voir s’il s’agit d’une souche apparentée ou pas. En réalité, ces tests permettent surtout, avant tout, en toute rigueur, d’exclure le fait que Monsieur A ait contaminé, si les deux souches sont différentes. Si les souches sont similaires, effectivement, il y a une certaine probabilité, mais ça ne signifie pas que la contamination a eu lieu entre les deux parce qu’on peut imaginer être passé par un tiers. D’une part, et même d’autres constellations, et d’autre part ça ne dit absolument rien du sens. Mais après ça, il peut y avoir des données dans l’histoire médicale de l’un, de l’autre, qui vont permettre, par recoupement, quand des tests ont été faits. Mais effectivement, dans certains cas, on peut considérer que ça n’est pas très rigoureux. Cela n’est pas très rigoureux sans doute dans certaines affaires, et là c’est aussi à nouveau un enjeu de qualité de la procédure, notamment du point de vue des parties concernées et de la défense. Encore faut-il soulever auprès du juge d’instruction, s’il ne le fait pas lui-même, les expertises nécessaires, ce qui suppose beaucoup de compétence de la part des différents acteurs professionnels de justice.

Sandra : Alors il ne nous reste malheureusement pas assez de temps pour discuter davantage, je suis obligé de finir avec ça, quelles sont du coup vos recommandations sur cette situation, qu’est-ce que le CNS recommande ?

Michel Celse : Plusieurs types de recommandations, d’abord un rappel, c’est-à-dire considérer que chaque fois qu’il y a une affaire de ce type, on doit lire ça à la base comme une forme d’échec de la prévention. Tout le travail de prévention, de lutte contre les discriminations doit être rappelé, et c’est une recommandation globale, il faut améliorer la prévention. Après ça, des affaires existent, on l’a vu, et donc un certain nombre de recommandations pour améliorer le traitement judiciaire et réduire le risque pénal. C’est de contribuer à une meilleure information des magistrats, et ça, ça passe par des mesures de formation initiale mais aussi par des mesures de formation continue. Cela passe également par la qualité des enquêtes de police judiciaire, où là aussi il y a tout un enjeu de formation que nous recommandons. Ça passe, on n’a pas du tout parlé de ça et il y a toute une réflexion à avoir et qui est conduite dans cet avis, sur la question des peines. C’est-à-dire est-ce que la prison est la bonne réponse dans ces cas-là parce que, que la société condamne un certain nombre de comportements, c’est dans un certain nombre de cas parfaitement entendable et la loi est telle qu’elle est, après ça il y a toute une gamme de possibilités de sanctions, et ce n’est pas nécessairement la prison. Et notamment, il existe depuis la loi du 15 août 2014, loi Taubira qui a étendu les possibilités d’alternatives de peines, normalement la prison, c’est le dernier recours, en tout cas quand on reste en dessous de 5 ans il y a des possibilités. Et donc, différents dispositifs alternatifs doivent être à notre sens favorisés dans ces cas-là parce que tout l’enjeu, c’est de favoriser la réinsertion et d’éviter la récidive. Enfin, il y a un certain nombre de recommandations à l’attention des acteurs de la lutte contre le VIH, il faut que les associations de lutte contre le VIH se réemparent de ce sujet-là, pour mieux informer les personnes atteintes de ce qu’est le risque pénal, il faut également qu’elles travaillent en direction des professionnels de santé pour qu’ils soient mieux au courant de ces enjeux, c’est des recommandations aux pouvoirs publics pour soutenir les associations dans ce travail-là, parce que ce travail, forcément, c’est une activité qui a un coût, et puis par ailleurs on a des recommandations pour avoir des outils pour mieux suivre ces affaires puisqu’elles sont restées totalement dans l’ombre faute de statistiques adéquates mais ça, bon, c’est un petit peu annexe. Enfin il y a tout ce qui est de l’ordre d’alertes, c’est-à-dire, les points qu’on a soulignés, le risque qu’il y ait une augmentation du nombre de cas et notamment une extension de condamnation à des cas d’exposition simples, où il me semble qu’il y a un danger à aller vers une pénalisation totalement déraisonnable du risque. Et d’autre part, sur tout l’enjeu que l’on a évoqué je crois, assez clairement, autour du traitement, qui a alerté que la prévention, ça n’est plus simplement le préservatif, et que c’est quelque chose qui doit être pris en compte aujourd’hui.

Sandra : Merci Michel Celse, je suis désolée, on doit passer à la rubrique culturelle, on arrive à la fin de l’émission. Merci de votre venue !

Michel Celse : Merci à vous.

Sandra : Peut-être aurons-nous l’occasion d’en reparler prochainement, le débat continu sur le site comitedesfamilles.net. N’hésitez pas à laisser vos commentaires.

Transcription : Alexandre Bordes

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