Sandra : Il y a 2 semaines, nous avons écouté Paul Scheffer, étudiant doctorant en sciences de l’éducation, à la fac de Paris 8 à St-Denis et aussi administrateur du FORMINDEP, une association qui milite pour une formation et une information indépendante dans le domaine de la santé. Et voici comment se nomme sa thèse “Les facs de médecine des plus indépendantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique”. Et grâce à son travail qui n’est pas encore terminé puisqu’il va soutenir sa thèse vers les mois de mai-juin, les facultés de médecine en France ont été classées sur l’indépendance qu’elles garantissent à leurs étudiants vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. Résultat, seulement 9 facultés sur 37 en France ont pris des initiatives pour se prémunir contre les conflits d’intérêts qui surgissent en cas de liens de l’établissement ou de ses enseignants avec l’industrie du médicament. C’est la faculté de Lyon Est qui est arrivé en tête avec un score de 5 points sur un maximum possible de 26 points.
Alors il y a deux semaines, il a dit quoi Paul Scheffer, interrogation surprise dans l’équipe radio, puisque vous étiez tous là ce jour-là !
Yann : Je laisse la parole à Mohamed ou à Christian (rires)
Mohamed : Moi, je n’ai pas très bien suivi de près. Je sais qu’il y a une polémique entre les étudiants et les laboratoires, mais maintenant je suis venu justement pour m’informer.
Sandra : Ouais Mohamed, ok. On l’a quand même écouté il y a deux semaines. Je vois que la mémoire… faut manger du poisson ! (rires).
Mohamed : Je ne suis pas très bien informé, je ne vais pas te dire des choses que je ne sais pas.
Christian : S’il te plait Sandra, balance-nous le truc (rires).
Sandra : Bon, je vais vous faire un petit rappel. Il a dit qu’ils se sont appuyés sur les étudiants en médecine américains, qui eux ont font un classement chaque année depuis 2007. Grâce à ce classements, les choses ont changé. ⅔ de leurs facs ont maintenant d’excellente note en matière d’indépendance.
Des rapports spécialisés de personnes politiques ont abordé cette question d’indépendance des facs en France mais ça n’a rien donné pour l’instant. Les doyens en France restent sourds apparemment malgré le scandal du médiator, pas vraiment de mouvement.
L’industrie pharmaceutique est très puissante, dirige la recherche et ont une influence sur les prescripteurs, les médecins et les étudiants.
Oui aux firmes pharmaceutique pour fabriquer les médicaments et les distribuer mais leur présence n’est pas du tout obligatoire dans l’aspect recherche, en tout cas pas de cette manière dominante. Et encore moins, dans le domaine de la formation.
Très peu de médicaments apportent un vrai progrès thérapeutique. Les vrais nouveautés par an se comptent sur les doigts d’une main. Il faudrait attendre minimum 2 ans pour avoir suffisamment de recul pour savoir si ça apporte vraiment quelque chose.
Et puis il a aussi mentionné la revue Prescrire qui est une revue indépendante où les professionnels de santé peuvent se renseigner sur la fiabilité des médicaments. Et donc je vous propose d’écouter la suite de l’entretien avec Paul Scheffer sur ce sujet.
Début de l’enregistrement.
Sandra : Est-ce que tu aurais des exemples dans les facs, puisque toi-même tu es étudiant aussi et puis tu as rencontré des étudiants ou en tout cas vous avez récolté des témoignages d’étudiants qui se sont dits, bon bah là, en terme d’indépendance, c’est limite, des exemples de choses qui se sont passées plus ou moins graves, enfin encore plus graves que ce qu’on a cité tout à l’heure, les petits fours et tout ça. Est-ce qu’auprès des étudiants, est-ce que ça s’arrête là ? Ou est-ce que les firmes vont plus loin ?
Paul Scheffer : Oui, il y a plusieurs choses. Déjà, il y a les enseignants. On en a déjà un peu parlé mais je peux préciser les choses car c’est sans doute la chose la plus importante parce que les étudiants quand ils arrivent, forcément, ils prennent modèle sur les enseignants. C’est un peu leurs exemples. On a des témoignages d’étudiants qui disent qu’il y a certains enseignants qui critiquent ouvertement les acteurs qui essayent de promouvoir l’indépendance. Que ce soit la revue Prescrire ou le Formindep, on a ce discours qui revient “vous savez, tous ceux-là, c’est des extrémistes” ou de dire “mais vous savez, un médecin qui n’a pas de conflit d’intérêt, c’est un médecin sans intérêt”. Pour dire que, c’est comme ça qu’on a de la valeur, ça prouve que l’industrie s’intéresse à nous, qu’on est dans les trucs de recherche et tout ça. Les discours qui de mon point de vue, ça fait plus de 6 ans que je travaille sur cette question-là au sein de ma thèse, ça me parait complètement aberrant. Mais ce sont des discours qui sont véhiculés auprès des étudiants.
On a aussi des cas où, qui ont fait scandale d’ailleurs, où des étudiants, ou d’autres organismes se sont rendus compte que certains enseignants faisaient des cours en lien avec des médicaments, donc ils faisaient la promotion, par exemple des médicaments anti-cholestérol, tout en minimisant leurs effets secondaires, sans déclarer leur lien d’intérêt alors qu’ils avaient des contrats avec des labos pharmaceutiques. Là, je pense à un enseignant de Harvard, qui avait 10 contrats avec des firmes pharmaceutiques, dont 5 qui commercialisait des médicaments anti-cholestérol. Et quand ça, ça a été su, ça a fait scandal et il y a eu un article dans le New-York Times, parce que les étudiants se sont mobilisés par rapport à ça.
Qu’est-ce qu’il y a eu encore ? Vous avez dans les manuels d’enseignement ou les manuels de révision, vous avez des pubs pour les médicaments, vous avez des médicaments qui sont inscrits en nom commerciaux alors qu’ils devraient être en nom de molécule. Vous avez des événements, du sponsoring organisé dans les facs, mais des trucs assez choquants. Par exemple des épreuves blanches du concours de 6ème année, des épreuves classants nationales, les ECN, ont longtemps été organisées par Novartis et Servier. Ils ont arrêté de le faire suite à l’affaire du scandale du Mediator mais ce n’est pas les facs qui ont demandé à ce que ça cesse. C’est les laboratoires qui se sont retirés eux-même. Ou alors, vous aviez une journée des internes obligatoire, organisée par… ah, je me demande si les épreuves des ECN ce n’était pas Sanofi, je me mélange peut-être un peu les pinceaux, mais là en revanche c’était Novartis à la faculté de Tours, qui organise cette journée des internes et elle était obligatoire, c’est ça qui est complètement dingue, et donc Novartis faisait une présentation le matin et payait le déjeuner à 12h. Comment ça se fait que ce soit obligatoire ? Donc là, c’est le syndicat des jeunes médecins généralistes qui a écrit au ministère de la santé, qui a réussi à ce que ça, se soit arrêté quoi.
Je trouve que c’est, en soit déjà c’est choquant, mais qu’on se dise que ça puisse exister, ça montre bien que… c’est comme si les équipes dirigeantes des facs ne se posent aucune question et même n’y voient aucun problème. C’est comme cet enseignant qui dit, un médecin sans conflit d’intérêt, c’est un médecin sans intérêt. En gros, il faut travailler avec l’industrie pharmaceutique. Donc là-dessus, c’est pour ça qu’il y a vraiment du travail à faire.
Sandra : C’est inquiétant tout ça. On se dit que là, les futurs médecins, puis même les médecins actuels finalement nous racontent des salades. Dans les médicaments VIH, je pense que, enfin, je ne sais pas si là aussi on doit s’inquiéter dans les nouveautés qui sortent, dans les nouveaux traitements parce que quand même, les nouveaux traitements VIH apportent beaucoup de confort aux personnes séropositives. C’est moins lourd. Avant c’était franchement 20 comprimés par jour et puis maintenant on en est qu’à 1 comprimé par jour. Donc, là, est-ce que vous pensez à Formindep que, je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler de médicaments VIH.
Paul Scheffer : Là-dessus, je ne peux pas me prononcer. Je ne suis pas spécialiste du domaine. Il faudrait poser la question à la revue Prescrire qui sont beaucoup mieux placés que moi pour le dire. Mais bon, il y a quand même des choses qui progressent, mais c’est vrai que la culture médicale, pour l’instant on en est là, on espère que ça va bouger, mais en tout cas en France et dans plein d’autres pays encore est très imbriqué avec les firmes pharmaceutiques. Ca commence avec les étudiants quoi. Dès les études en fait, les étudiants, comme ils font des stages à l’hôpital, dès la seconde année, ils voient des visiteurs médicaux toute la journée.
Les visiteurs médicaux c’est des représentants des firmes qui viennent dans les services, qui viennent rencontrer les médecins dans leur cabinet pour leur parler justement des médicaments, leur filer des brochures ou surtout vendre les médicaments. Mais d’une manière assez fine et en brandissant des articles scientifiques, ce genre de choses. Mais tout est en tout cas, vraiment très étudiés, même comment on serre la main, quel sourire on a. Les médecins sont cartographiés par rapport à leurs habitudes de prescription, ils sont ciblés quoi. De toute façon, ce sont des cibles marketing et du coup ils sont très étudiés et ces gens-là sont là pour rencontrer les médecins, tisser des liens relationnels et amicaux pour faire en sorte qu’il y ait une bonne entente entre les médecins et les firmes.
Sandra : Oui, j’imagine que les visiteurs médicaux n’ont pas de formation dans le domaine médical ?
Paul Scheffer : Ca dépend, il peut avoir des médecins qui viennent mais la plupart ne sont pas du tout issu de la santé à la base.
Sandra : Quels sont les dangers majeurs d’après toi si ces relations ne changent pas avec les firmes ? Quels sont les dangers dans l’avenir ?
Paul Scheffer : Il faut savoir déjà qu’on sait, enfin les chiffres actuels c’est de dire qu’il y a 20 à 30 000 morts par an en lien avec le médicament. Avec un mésusage des médicaments. Tout ça, ce n’est pas juste des questions de moralité, c’est vraiment des questions sanitaires au coeur de la médecine. Il y a vraiment des morts. Le scandale du Médiator mais il y en a eu plein d’autres avant, il y en a eu après. Là, il y a eu la Dépakine, les pilules 3ème, 4ème génération. Des scandales il y en a tout le temps parce qu’on retrouve ces problèmes de conflits d’intérêt partout. Comme les ¾ des essais cliniques, donc les essais cliniques c’est là où on prend des grandes cohortes de patients et on teste des molécules, etc, ils sont financés par l’industrie pharmaceutique, c’est eux qui détiennent les données de la recherche, après c’est eux qui justement font leur marketing derrière, qui font du lobbying auprès des politiques. Donc tout ça fait qu’il y a un contexte dominé par les firmes. Du coup avec ce paysage en tête c’est logique qu’il y ait des scandales un peu partout parce que c’est eux qui tirent les ficelles.
Après on estime 10 à 17 milliards d’économie d’euros par an qu’on pourrait faire en France avec un meilleur usage du médicament. 10 à 17 milliards, on pourrait faire beaucoup de choses ! On pourrait payer beaucoup plus de soignants, on pourrait faire de la recherche autrement, on pourrait faire plein de choses.
Sandra : On estime, quand tu dis on estime, qui est-ce qui estime ça ?
Paul Scheffer : C’est Michèle Rivasi qui est députée, qui avait fait l’opération “main propre” qui avait donc dit ces chiffres et aussi un économiste de la santé Jean de Kervasdoué, c’était dans une audition au Sénat je crois, il disait qu’on pouvait faire 17 milliards d’économies en France en faisant une comparaison avec la Norvège. Et puis c’est aussi une manière de concevoir autrement la médecine ou encore aujourd’hui il y a la même vision, un problème = un médicament. Or il y a plein de problèmes qui sont liés aux inégalités sociales, aux conditions de travail, à la vie tout simplement et qui ne résolvent pas avec un médicament. Les médecins auraient un rôle à jouer c’est sûr, pour essayer d’englober un peu ces aspects plus généraux et proposer de travailler avec d’autres personnel de santé qui sont mieux placés qu’eux, je ne sais pas, des psychologues, des diététiciens, de manière plus transversale.
Sandra : Mais ça, ce que tu dis, un problème = un médicament, il n’y a pas que les médecins qui sont dans ce truc-là. Il y a aussi les patients. Par exemple quand un patient va voir un médecin, il s’attend à ressortir avec une ordonnance, des médicaments, “ça, ça va me soulager de mon problème”. J’ai déjà entendu des médecins qui disent, je n’ai rien à vous prescrire, il faut simplement du repos ou changer les habitudes alimentaires et tout, et puis le patient va dire, mais non, je veux un médicament, je suis allé chez le médecin, c’est pour ressortir avec une boite de médicament. Des médecins rentrent dans le jeu et prescrivent. Il y a aussi une formation ou une éducation à faire aussi au grand public pour dire aller chez le médecin, ça ne veut pas dire automatiquement ressortir avec une ordonnance, enfin, avec des médicaments en tout cas.
Paul Scheffer : Oui, c’est vrai qu’il y a aussi une demande de la part des patients, plus que dans d’autres pays. Par exemple il y a eu une étude d’une sociologue qui s’appelle Sofia Rosman, qui a comparé ce qui se passe aux Pays-Bas par rapport à la France. Et aux Pays-Bas, vous avez 4 consultations sur 10 chez un médecin généraliste qui se termine par une ordonnance. En France, c’est 8 à 9. Il y a aucune raison que ce soit… les différences, c’est aussi culturelles. Là-bas, il y a une tradition plus protestante où quand on a mal, on prend sur soi, tandis que chez nous, bon bah, on est plus dans le confort. Ca a des avantages. Je ne dis pas que c’est mauvais. Mais il y a une consommation qui est plus légère on va dire, qui est plus élargie. Mais n’empêche qu’il y a aussi des travaux, notamment l’anthropologue de la santé Anne Vega qui a étudié aussi les prescriptions des médecins généralistes français qui a montré que c’était quelque chose à nuancer. Il y a aussi des patients qui sont plutôt régulateurs de prescription. Eux, finalement, un conseil, de l’écoute et avoir un conseil, ça leur suffirait. Ils ont plus besoin de ça que d’une ordonnance. Et il y a plein de médecins qui pour différentes raisons, hop… ca a même été étudié ça, sociologiquement, l’ordonnance, ça permet de clore la consultation et donc… comme on est dans un système de paiement à l’acte en France, plus on a de consultations, plus on fait du chiffre en tant que médecins et donc là aussi il y a une sorte de conflit d’intérêt. Il y a certains médecins qui peuvent avoir intérêt à ce que les consultations s’enchaînent vite. Tandis qu’aux Pays-Bas, les médecins sont salariés. Du coup, ils n’ont pas de pression de paiement à l’acte. Et ce qui était intéressant dans l’étude de Rosman, c’est que, ce qu’elle montrait, c’est qu’a priori, ils sont mieux payés aux Pays-Bas qu’en France, tout en étant salarié. Donc là-dessus, le paiement à l’acte, ça fait depuis des décennies qu’on en parle en médecine, ce serait vraiment un truc à réfléchir. Peut-être qu’il y aurait moyen en France que ça bouge un peu parce que la profession se féminise. Et même aussi chez les hommes, il y a une volonté moindre de faire des grandes carrières, enfin, il y a plus d’importance qui est donnée à la qualité de la vie, et donc de ne pas passer sa vie au boulot, et d’être salarié et bah, ça permet d’avoir quand même une sécurité, un confort dans l’exercice et d’être plus détaché et de faire du chiffre. Et du coup, tout ça, ça fait que peut-être, que ces questions-là vont revenir. Pour l’instant, je n’ai pas vu que c’était de nouveau débattu très fortement, mais pour moi ce serait vraiment très important que ce paiement à l’acte change.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : C’était Paul Scheffer au micro de l’émission de radio Vivre avec le VIH et nous aurons à nouveau le plaisir de l’entendre parce qu’il va nous parler de Valérie Pécresse. Et oui ! Là aussi, Valérie Pécresse joue un rôle dans cette indépendance des facs de médecine, vous verrez pourquoi, ce n’est pas une très bonne nouvelle. Est-ce qu’il y a des réactions dans l’équipe radio ? Des commentaires ? Des interrogations ?
Christian : Oui. Ce projet est assez intéressant. Les étudiants peuvent approfondir leurs recherches en médecine. Les étudiants au Cameroun n’ont pas la possibilité d’avancer dans leurs recherches et nous sortir quelque chose de bien. Je loue ce projet, il est vraiment salutaire, que davantage tous les autres pays s’appuient sur ça pour aider les différents pays dans le développement, la création. C’est ce que je peux dire dans un premier jet.
Yann : Ca me semble important qu’on puisse avoir des organismes comme ça, d’étudiants, qui permettent de tirer les sonnettes d’alarme et effectivement, après c’est très insidieux, les labos sont partout, on un lobby très puissant, et effectivement, tout le rôle de ces garde-fous, pour limiter au maximum l’imprégnation des labos dans une faculté de médecine qui doit normalement apprendre sans être influencé par des boîtes. Ce qui me gêne le plus, c’est quand même le discours des enseignants. Il en reparlait monsieur Scheffer, le discours des enseignants qui sont pour beaucoup, employés, payés par les gros labos, qui après vont forcément faire la pub de leur maison quoi.
Sandra : Oui, moi ça m’a vraiment choqué. Je ne pensais pas qu’on en était encore là. Est-ce qu’il y a d’autres commentaires ? En tout cas, chers auditeurs, n’hésitez pas à réagir sur le site comitedesfamilles.net
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
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