Sandra : Vous avez dit aussi lors de cette conférence sur la démocratie en santé, que la santé c’est dès l’école maternelle. Pourquoi dès l’école maternelle ? Ça sert à quoi ?
Tim Greacen : À quoi ? Encore une fois, là c’est une grande faiblesse de notre système d’éducation nationale en France. C’est la catastrophe par rapport à la santé. En France, on a privilégié l’arithmétique, on a privilégié bien parler la langue française. Et donc les compétences de langage, les compétences de mathématiques sont privilégiées au-delà de tout. Et les enseignants, dès l’école maternelle, ils ont ces objectifs-là dans leur tête. Principalement. Les enfants doivent sortir quand ils ont 18 ans sachant parler le français et faire des mathématiques, etc. Fondamentalement, c’est ça notre système de santé. Mais on oublie qu’est-ce que c’est de vivre…
Yann : Le plaisir personnel de chaque individu quoi.
Tim Greacen : Le plaisir personnel, mais aussi les compétences en matière de santé. Pourquoi on privilégie uniquement les compétences en matière de langage et en matière d’addition ?
Yann : Il y a un travail quand même qui est fait en maternelle sur tout ce qui est alimentation, vous pouvez prendre du plaisir, mais sans manger forcément des cochonneries. J’ai un enfant de 5 ans, il y a eu un gros travail sur l’alimentation.
Tim Greacen : Qui a fait ce travail ?
Yann : La maitresse…
Tim Greacen : Ah génial ! Donc peut-être que ça bouge ?!
Yann : Je pense que la maitresse est bien. Après je pense que c’est établi aussi dans leur programme…
Tim Greacen : C’est essentiel qu’on souligne ça car pendant le reste de la scolarité générale, dans d’autres pays par exemple, la formation sur la santé, premièrement c’est accrédité, il y a des examens, des évaluations, etc. Mais la formation sur la santé c’est fait par, non pas par des professionnels de santé, mais c’est fait par des enseignants. On considère que la connaissance et les compétences en matière de santé, ça appartient à tout citoyen. C’est une obligation de tous citoyens et non pas juste des professionnels de la santé. Et je dis toujours en France, le discours sur la santé a été accaparé par les professionnels de santé. Et ça suffit maintenant. Le discours sur la santé appartient aux citoyens, à tous les citoyens et tous les citoyens doivent être formés. Connaissance, compétence. Et doivent aussi avoir les moyens de vivre en bonne santé. C’est ça notre démocratie en santé.
Sandra : Vous avez dit aussi, on dépense un fric fou pour informer les actifs, ceux qui travaillent, ceux qui vont à l’école. Et les autres ?
Tim Greacen : On est dans un système, la France est très en avance sur la notion de formation continue, formation tout au long de la vie. Mais c’était, surtout lorsqu’on a mis en place ce système pour, et c’est lorsqu’on bosse, lorsqu’on a un boulot, une partie du budget de chaque boite doit peut-être dépenser sur la formation continue des professionnels qui y travaillent. Donc pour ceux qui travaillent, ils ont accès à des budgets de formation continue qui sont importants. Moi je bosse dans un hôpital, cet hôpital dépense un budget de 100 millions d’euros et 1 million d’euros chaque année sur la formation continue de son personnel. C’est génial. Mais quelle est la somme qu’il dépense sur la formation continue des usagers de cet hôpital ? Bref, les personnes qui n’ont pas de boulot par exemple, quel est leur accès à la formation continue tout au long de leur vie sur la santé. Et pour moi, évidemment c’est le domaine de la santé qui m’intéresse parce que le problème c’est que Yann maintenant, il a 25 ans, mais qu’est-ce qui va se passer lorsqu’il a 65 ans ? Son corps va changer. Tout d’un coup il aura d’autres problèmes, d’autres enjeux de santé qui n’ont rien à voir. Peut-être un peu de tension, peut-être la vue qui baisse, peut-être je n’en sais rien. Mais toutes ces choses, chaque événement de vie qui change le corps…
Yann : Oui, c’est vrai que si on était informé déjà à la base un petit peu de tous ces changements, c’est vrai qu’en France on a le tabou du corps, de parler de soi, de l’intérieur du corps… tout ça, c’est un petit peu je trouve passé sous couvert quoi.
Tim Greacen : C’est des interdits peut-être. Peut-être bien que c’est des interdits, c’est une tradition, c’est aussi l’idée que ça appartient aux médecins.
Yann : Eh oui, oui.
Tim Greacen : Ça appartient aux médecins. Éventuellement à l’infirmier, les métiers d’infirmiers qui arrivent tard en France. Mais même les médecins dans les hôpitaux, un médecin à plein temps dans les hôpitaux c’est depuis les années 50 en France. Un drôle de système en France.
Sandra : La parole des médecins, elle est très importante…
Yann : Oui, on a qu’à le voir quand on est par exemple hospitalisé et qu’on a une fois tous les 15 jours le professeur qui passe, là tu as tout le protocole avec les 15 personnes qui rentrent dans la chambre. Donc là c’est vrai que si au bout d’un moment on ne s’écoute pas soi-même et on fait en sorte de se faire entendre. On évite un petit peu le… pas le joujou, je ne voudrai pas aller jusque là, mais, d’un seul coup, on est indépendant de sa propre vie quoi. On a l’impression d’être un numéro qu’on essaye de soigner.
Tim Greacen : Quelle idée ! (rires) Si on revient à cette idée de donner le pouvoir aux citoyens en matière de santé, donc je donne à nouveau l’exemple de mon pays, de mon enfance. C’est un pays bizarre l’Australie d’accord. Il y a beaucoup de distance et donc une distance énorme entre les lieux d’habitation des gens, les hôpitaux, les systèmes de soins. Il y a beaucoup de pays comme ça dans le monde. En France c’est plus exceptionnel où la population est étalée à travers le pays et évidemment tout le monde a un accès égal à la médecine ahaha !
Yann : Surmédicamenter la France aussi par rapport à l’Australie.
Tim Greacen : Ce qui se passe en Australie, ça veut dire que lorsque moi j’étais enfant, donc il y a longtemps, je commençais à faire par exemple les gestes qui sauvent. On commence à l’âge de 5 ans…
Sandra : Moi j’avais 18 ans…
Tim Greacen : À l’âge de 12 ans, j’avais le diplôme de secouriste. C’était obligatoire. C’était aussi évalué. Il fallait que tu montres que tu savais faire. Et donc tu es accrédité, c’est un diplôme que tu as à l’âge de 12 ans, tu sais réanimer quelqu’un qui est noyé…
Sandra : Ça responsabilise.
Tim Greacen : Juste pour vous donner une idée. J’ai déjà utilisé ça, à l’âge de 40 ans, sur une plage, en Italie. Je vois, j’entends crier : « Au secours ! Au secours », en italien. Et je regarde vers les vagues et je vois le corps d’un enfant dans le vague. On s’installe dans un autre mode, on revient à l’école primaire. Et j’ai fait exactement ce qu’on m’a appris à faire à l’école primaire…
Sandra : Et vous n’aviez pas oublié ?
Tim Greacen : Je n’avais pas oublié. Maintenant j’arrive à le décrire, mais c’était des gestes que j’avais appris à l’école. J’ai nagé d’une certaine façon pour ramener l’enfant à la plage avec la tête en dehors de l’eau. On a appris à l’école primaire. Je le pose sur la plage. L’enfant est tout bleu, le corps est bleu. Non pas rose, c’était un blanc, mais bleu. Et on a appris à l’école que c’est normal. Un corps qui est, quelqu’un qui est noyé, est bleu. Mais on peut toujours le réanimer. Ce n’est peut-être pas trop tard.
Sandra : Ah oui, ça c’est des choses que si on ne connait pas, on peut paniquer et se dire que c’est foutu…
Tim Greacen : Et donc j’ai fait les gestes. Il faut le réanimer. Donc ce qu’on m’avait appris à l’école c’était qu’il fallait ouvrir la bouche, vérifier qu’il n’y avait rien dans la bouche et ensuite on fait du bouche-à-bouche. On respire avec un certain rythme, on pousse l’air dans les poumons et on revient. Et si le visage, c’était un petit enfant, on met la bouche autour du nez et de la bouche et si c’est un enfant plus grand, tu sers les narines et juste tu respires par la bouche de la personne. Et puis tu apprends à l’école qu’en plus que, lorsque ça commence à marcher, que l’enfant va dégueuler. Et en fait l’enfant dégueule, tout d’un coup j’ai reçu une énorme fontaine d’horreur…
Sandra : On ne montre pas ça à la télé quand un beau sauveteur sauve une fille. C’est plus classe (rires).
Tim Greacen : Non, non, c’est beaucoup moins classe. Mais on a aussi appris des choses sur l’environnement de ce qui se passait. Il y a des gens qui s’appellent des mères. Et les mères lorsque l’enfant est noyé, ça ne va pas du tout. Et donc on a appris que souvent ce qui arrive c’est que la mère essaye d’intervenir pour t’empêcher de faire ce que tu es en train de faire, d’embrasser son enfant sur la plage par exemple. Et effectivement sur la plage, la grosse mama italienne elle essaye de m’arrêter d’intervenir. Elle était dans tous ces états, elle criait, elle sanglotait. J’ai fait ce que j’ai appris à l’école primaire, je lui ai donné une tape sur le visage. Et comme à l’école primaire on nous a dit normalement ça les calmes. Elle s’est assise avec ses grosses femmes de mama italienne sur la plage en Italie et elle a regardé pendant que je continuais. Et l’enfant, le petit corps qui était bleu est devenu rose et après ça l’enfant commençait à cracher et à faire des bruits, à râler, etc. À redevenir un enfant. Mais ça, c’était après lorsque j’avais 12 ans, 10-12 ans. Et voilà, ça a commencé à l’âge de 5 ans, 10, 12 ans. Tout Australien est censé savoir réanimer quelqu’un qui est noyé, qui se noie, parce qu’on habite à côté de la mer tout le temps.
Yann : Nous, on avait des cours de civisme aussi comme ça qui ont été annulés et je trouve que c’est dommage parce que ça apprenait aussi peut-être pas vraiment le secourisme, mais, toute l’approche à l’autre, le civisme quoi. Laisser sa place à une personne plus âgée, ça fait partie de la bonne santé quoi. Parce qu’on sera âgé nous aussi. Faire comprendre tout ça quoi.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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